les Maîtres des Dragons - 1962 - the Dragon Masters


Premiéres pages

Les appartements de Joaz Banbeck, creusés au coeur d'une montagne calcaire, se composaient de cinq pièces principales distribuées sur plusieurs niveaux. Tout en haut, se trouvaient le Reliquarium et une salle d'apparat réservée aux débats du Conseil : dans la sévère splendeur du premier, les archives, les trophées et les souvenirs des Banbeck étaient conservés : quant à la salle du Conseil - un hall étroit et tout en longueur, aux parois recouvertes jusqu'à mi-hauteur de boiseries sombres et dont la voûte était de plâtre blanc - elle s'étirait sur toute la largeur de la montagne, de sorte que ses balcons donnaient d'un côté sur le Val Banbeck et, de l'autre, sur le Défilé de Kergan.
L'étage inférieur était réservé aux quartiers personnels de Joaz Banbeck. Ceux-ci se composaient d'un salon, d'une chambre à coucher et d'un bureau attenant à cette dernière ; enfin, en bas, était installé l'atelier dont l'accès était interdit à quiconque.
Pour entrer, il fallait passer par le bureau. Il affectait la forme d'un L. Quatre lustres incrustés de grenats pendaient au plafond à arceaux taillé de nervures délicates. Pour le moment, ils étaient éteints ; la pièce était simplement éclairée par quatre écrans de verre poli qui diffusaient une lumière liquide et grise, découpant à la manière de tableaux traités en clair-obscur le panorama du Val Banbeck. Les murs étaient lambrissés de roseaux lignifiés. Une natte décorée de figures géométriques - angles, cercles et carrés marrons, bistres et noirs - était posée sur le sol.
Un homme nu était allongé au milieu du bureau.
Il avait pour toute vêture une longue et fine chevelure châtain qui lui retombait derrière le dos et l'anneau d'or qui lui enserrait le cou. Son visage était mince et aigu, son corps svelte. Il paraissait écouter quelque chose - ou, peut-être, méditer. De temps en temps, il jetait un coup d'oeil sur la sphère de marbre jaune posée sur une étagère ; alors, il remuait les lèvres comme pour fixer dans sa mémoire une phrase ou un enchainement d'idées.
Une lourde porte s'entrouvrit sans bruit à l'autre extrémité de la pièce et un visage de femme à l'expression espiègle se glissa par l'entrebâillement. A la vue de l'homme nu, la femme porta la main devant sa bouche pour réprimer un cri de surprise. L'homme se retourna - mais la porte s'était déjà refermée.
Il resta un moment immobile, le sourcil froncé, perdu dans ses réflexions; puis il se leva et s'approcha du mur, fit basculer une section de la bibliothèque et disparut par cet orifice. Le panneau reprit sa place primitive. L'homme nu descendit un escalier en colimaçon et déboucha dans une autre pièce creusée à méme la roche : l'atelier privé de Joaz Banbeck. Sur la table de travail étaient disposés des outils, des blocs de métal, une batterie de cellules électromotrices, des éléments de circuits dépareillés, tout un attirail qui symbolisait la curiosité du maïtre des lieux.
L'homme nu se pencha sur la table, souleva l'un des accessoires épars et l'examina avec une sorte de condescendance. Pourtant, son regard était aussi limpide, aussi émerveillé que celui d'un enfant.
Des voix étouffées, venant du bureau, retentirent. L'homme nu tendit l'oreille, puis il se baissa et, s'accroupissant sous la table, il souleva une dalle et s'enfonça dans le puits d'ombre ainsi révélé. Quand il eut remis la pierre en place, il s'empara d'une baguette lumineuse et s'engagea dans un boyau en pente qui débouchait sur une grotte naturelle. Ici et là, des tubes luminescents irradiaient une lueur pâle qui perçait difficilement les ténèbres.
L'homme nu avançait d'un pas alerte et ses cheveux soyeux faisaient comme une auréole derrière lui.

Dans le bureau, Phadée la ménestrelle et un vieux sénéchal étaient en train de vider une querelle.
" C'est vrai! Je l'ai vu! " insistait Phadée.
" Je l'ai vu de mes yeux. C'était un sacerdote. Il se tenait là. Comme je vous l'ai décrit. " Elle secoua rageusement le bras de son interlocuteur. " Croyez-vous donc que j'aie perdu la tête et ou que je sois hystérique ? "
Rife le sénéchal se contenta de hausser les épaules sans se compromettre. " Toujours est-il que je ne vois rien... " grommela-t-il.

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