Dans le magazine SF italien Delos n°62  décembre 2000 - janvier 2001
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Tous mes remerciements à Bruno Para pour sa traduction .

Interview avec le maître

Après une manoeuvre digne des assauts les plus entreprenants, Baccalario et Lingeri ( journalistes de Delos) ont réussi une entreprise quasiment sans précédent : ils ont interviewé l'un des plus grands - et des plus réservés - écrivains de science-fiction de tous les temps, un vrai mythe vivant pour beaucoup (dont nous sommes) : Jack Vance.

John Vance II : Hier soir j'ai mené votre interview. La scène : mon père et moi étions assis à la table de notre salle à manger. Un feu crépitait dans la cheminée. Mes enfants (une fille de trois ans et demi, et un garçon d'un an et demi) courraient autour de nous en criant et en jouant. Papa sirotait un bourbon, tandis que je buvais un verre de vin. Ma femme et ma mère se trouvaient à la cuisine où elles préparaient la paella pour le soir.

Delos : Que pensez-vous de l'Italie ? Nous avons trouvé de nombreux mots qui nous semblaient italiens dans vos histoires ! Etes-vous déjà allé en Italie ou cela vous plairait-il de visiter votre pays avec votre famille ?

La planète géante Jack Vance : Ma femme et moi avons visité l'Italie en 1950. La campagne nous a plu mais nous ne nous sommes guère intéressés aux villes. Nous sommes restés trois ou quatre mois à Positano. Il y a des lieux que nous aimerions encore visiter, comme la Sicile et Ischia. La langue italienne me plaît, les mots ont de belles sonorités.

Delos : En lisant certains de vos livres (en particulier Les secrets de Cadwal et Lyonesse), il nous a semblé trouvé une sorte de dégoût ironique envers les institutions religieuses. Est-ce vrai ? croyez-vous en Dieu ?

Jack Vance : Je ne suis absolument pas religieux.

Delos : Quel est le secret de vos noms magnifiques ?

Jack Vance : Je travaille consciencieusement afin d'être sûr que les noms résonnent avec les situations particulières ou l'ambiance de l'histoire. La nomenclature du récit doit être conforme à la structure, ou à l'état d'âme de l'intrigue.

Delos : Vous considérez-vous comme un traditionaliste ? Nous avons lu quelques uns de vos manuscrits écrits avec trois stylos de couleur différents (!). Que pensez-vous des ordinateurs et de la technologie ?

Jack Vance : Je ne me considère pas comme un traditionaliste, ou quoi que ce soit d'autre. Je suis moi-même ! Je suis habitué à écrire avec des encres colorées parce que je les trouve amusantes. De manière plutôt étrange, je suis concentré sur ce que j'écris. J'aime décorer les pages avec des dessins à l'encre colorée. Ce n'était qu'une lubie au départ, mais j'ai toujours aimé ça. En ce qui concerne les ordinateurs, j'en utilise à présent un. Je le trouve extrêmement pratique. La technologie a sa place. Elle ne devrait pas écraser les autres aspects de l'existence. Je trouve la technologie etle progrès de la connaissance fascinants.

Delos : Quand vous planifiez un nouveau livre, quel est votre premier objectif : la psychologie des protagonistes, la trame générale ou le fonds de l'histoire ? Vos ambiances semblent si réelles que nous les pensons longuement étudiées avant que vous ne commenciez à écrire. Nous trompons-nous ?

Jack Vance : Je n'ai pas de méthode particulière pour écrire. Je commence souvent une nouvelle histoire en obéissant à un état d'âme particulier. Je commence seulement à penser à une situation et aussitôt naît le texte. Wyst, par exemple, est né pendant que je cherchais à créer une ambiance qui serait la définition absolue de l'état d'assistance. L'histoire s'est développée à partir de cette idée. Pour Lyonesse, l'histoire a émergé de l'idée des îles Elder, un lieu dans lequel les histoires comme les légendes arthuriennes seraient réelles, et où la magie ne serait pas encore morte.

Delos : Depuis cinq ans que nous nous dédions au développement de la science-fiction et du jeu de rôles, nous nous sommes rendus compte qu'en Italie, la première chose qu'un auteur débutant doit faire est d'être politiquement engagé. Avez-vous le même problème aux Etats-Unis ? Vos politiques cherchent-ils à s'immiscer dans le monde de la fantasy et de science-fiction ?

Jack Vance : Absolument pas.

Delos : Tous vos personnages à l'exception de Suldrun ne s'arrêtent jamais deux fois de suite au même endroit. Jusqu'à quel point la liberté et les voyages sont-ils importants pour vous ?

Jack Vance : Pour apporter une diversité de changements de scène, les personnages évoluent d'un endroit à l'autre. Il est plaisant d'aller d'un lieu à un autre ! Je n'ai jamais ressenti l'exigence d'écrire un récit statique à l'ambiance unique.

La Planète géante , Ace 295 , couverture d'EmshDelos : Quand et pourquoi avez-vous décidé de devenir écrivain ?

Jack Vance : L'idée a grandi en moi. J'avais plusieurs idées. Je pensais que j'aurais pu devenir un scientifique, mais je trouvais ce métier trop limitatif. Quand j'ai fréquenté l'université, tous les étudiants en science étaient non seulement ennuyeux, mais pensaient en outre d'une manière trop rigide et linéaire. Les chercheurs que je connaissais, au moins, étaient extrêmement compétents dans leur domaine, mais ils avaient l'esprit peu ouvert. Je n'aurais jamais voulu passer toute ma vie avec des gens comme eux. De plus, je ne voulais pas travailler pour quelqu'un d'autre, je voulais être indépendant et ne reposer que sur moi-même, et ainsi j'ai décidé que je voulais être écrivain.

Delos : Et maintenant... que représente la responsabilité d'être l'un des maîtres des rêves et de la science-fiction ?

Jack Vance : Je n'y ai jamais pensé.

Delos : Préférez-vous être considéré comme auteur pour jeunes ou pour adultes ?

Vance à Utopia, nov.1999 @Fabienne RoseJack Vance : En général, j'écris pour des personnes intelligentes. Je n'écris pas pour des enfants ou des adolescents. J'écris pour des personnes à l'intelligence développée, quel que soit leur âge.

Delos : Avez-vous jamais eu des contacts cinématographiques, ou quelque producteur hollywoodien a-t-il jamais voulu réaliser un scénario basé sur un de vos livres ?

Jack Vance : Une fois, au début - vers 1949 ou 1950 - j'ai vendu une histoire de Magnus Ridolph à la Twentieth Century Fox et j'ai travaillé dessus quelque temps, environ quatre mois, en développant la trame. C'est à ce moment que le producteur est devenu producteur exécutif du studio entier, et a mis mon projet sur une étagère. Il me disait : "ne m'appelle pas, nous te recontacterons", ce qui ne me dérangeait pas. Le studio ne fonctionnait pas bien; je ne me sentais pas à l'aise d'appartenir à ce milieu et fus heureux que me sentir "relâcher". Immédiatement après ce travail, Norma (son épouse, N.D.T.) et moi fîmes notre premier voyage en Europe. Le salaire fut merveilleux, naturellement.

Delos : En lisant "La station Araminta" nous avons rencontré votre (grand) amour pour la nature. Vivez-vous dans une grande ville où dans un village de campagne ? Avez-vous des animaux de compagnie ?

Jack Vance : Je n'ai aucun animal, bien que ma femme possède quelques chats. Nous vivons dans la périphérie d'Oakland, dans une atmosphère de semi-banlieue. J'aurais préféré vivre à la campagne, mais nous avons essayé et ça n'a pas marché.

Delos : Le premier jeu de rôle de Gary Gygax, Dongeons & Dragons, a tiré toute son inspiration du monde de la Terre Mourante. Que pensez-vous du JdR et des jeux en général ?

Jack Vance : Je n'y ai jamais joué. Je n'ai aucune opinion.

Delos : Quels sont vos nouveaux projets ?

Jack Vance : Je suis actuellement en train de travailler à la suite d'Escales dans les étoiles. L'histoire, intitulée Lurulu, progresse très lentement, mais me plaît énormément. Je n'ai aucune idée sur ce qu'il y aura après Lurulu.

Delos : Y a-t-il un de vos personnages qui ressemble plus que tout autre à Jack Vance ?

Jack Vance : Je tiens tout particulièrement à Cugel !

Delos : Voici la dernière question : dites-nous quelque chose que vous n'avez jamais dite auparavant !

Jack Vance : (Silence).


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