Jack RAWLINGS est professeur de littérature à l' Université de Chico, Etat de Californie
Cette entrevue a été publiée dans " le Prince Démon : Les Mondes Dissonants de Jack Vance "
avec autorisation de l'auteur et de son éditeur Borgo Press.

Je pense que cette entrevue vous permettra d'avoir une meilleure appréciation de Vance et d'obtenir quelques éclaircissements sur ses livres, bien que je trouve Rawlings surtout sur la fin bien servile et prompt à "servir la soupe " ou "cirer les pompes" de Vance .
J'ai ajouté aussi dans le texte  l'histoire du titre de "Space Opera" telle que  Gilles Goulet me l'a raconté .

Une Entrevue avec Jack Vance par Jack Rawlings

" Le mauvais travail, je l'oublie ".

En janvier 1985 j'ai téléphoné à Jack Vance et lui ai demandé s'il était disposé à parler avec moi de sa vie et son travail. Il a gémi, soupiré, et a réitéré sa haine célèbre de discuter de l'un ou l'autre de ces sujets. J'ai demandé pourquoi, et il m'a dit que les interviewers voulaient toujours qu'il dise quelque chose de profond, ce qu. il était incapable de faire ; ou quelque chose d'embarrassant pour d'autres écrivains SF ce qu'il était peu disposé à faire. J'ai promis être gentil. " Je ne sais pas que dire, " a-t'il conclu sans enthousiasme. Je suis monté à sa maison dans les collines d'Oakland avec un magnétophone dans la main et le coeur à la bouche. J'ai été accueilli comme un ami et en invité de choix. Vance m'a parlé facétieusement, avec volubilité, et finesse jusqu'à ce que je n'aie plus de bande d'enregistrement.

Voici quelques extraits de notre conversation.

VANCE: Je lance le débat. " Hé bien, Vance, par l'enfer qu'est-ce que vous devenez ? " C'est une bonne question , Jack. Je viens juste de finir le deuxième volume dans le Cycle Lyonesse, et donc... je n'ai plus rien à faire. J'ai un contrat pour trois nouveaux livres, et le troisième livre de Lyonesse, et avec stupéfaction je me rends juste compte de l'ampleur de la tâche.

RAWLINS: Comment va le travail ? Vous êtes très occupé. Est-ce que vous allez bien ?

VANCE: Hé bien, c'est relatif. Comparé à Isaac Asimov, je m'efforce de ramasser jusqu'à la dernière croûte de pain. Comparé à quelque aborigène Patagon, je vis mieux.

RAWLINS: Quand je vous ai rencontré la première fois, il semblait que personne n'avait entendu parler de vous excepte votre proche famille, alors que maintenant vous avez obtenu une bonne réputation et des éditeurs qui vous prennent au sérieux et veulent que vous écriviez pour eux. Il y a quinze années je vous ai demandé pourquoi vous n'aviez pas écrit les deux derniers Princes Démons, et vous m'aviez dit " Je serais heureux de les écrire si quelqu'un voulait bien payer pour eux ". Ce n'est plus un problème aujourd'hui.

VANCE: Je ne sais pas. Je le pense. Je suppose que ma réputation augmente un peu, mais je ne pense pas que ce soit une explosion atomique... Je n'ai toujours pas le public populaire que Ray Bradbury a.

RAWLINS: Vous devez être le "Petit Auteur" le plus le plus honoré dans la SF : deux Hugos, un Nébula, un Jupiter, et un Edgar pour vos écrits de mystère fiction.

VANCE: L'année dernière ils ont balancé un... par l'enfer qu'elle est le nom de cette chose ? H. P. Lovecraft? Soi-disant  en " récompense de sa vie d'auteur". Apparemment leur système pour les distribuer a été de sélectionner un type qui tient encore a peu prés sur ses jambes, et de le lui donner avant que ses yeux soient fermés, donc c'est une sorte de baiser de la mort.

RAWLINS: Lyonesse paraît être quelque peu plus conventionnel, plus facilement cataloguable et un livre plus facile à vendre que votre travail antérieur.

VANCE: Cela a été fait à dessein. Je pensais que je devrais essayer d'attraper quelques dames de bibliothèque de prêt. Et le livre s'est joli bien vendu. Mais mon audience est encore très spécialisée : les jeunes gens très intelligents.

RAWLINS: Quand je l'ai commencé j'étais hésitant, parce qu'il ressemble beaucoup à ce que tout un tas d'autres gens font ; mais j'ai été heureux de voir qu'il est encore beaucoup plus en harmonie avec ce que vous avez fait auparavant.

VANCE: Vous avez deux fois raison. Je n'ai pas fait de compromis sur le niveau intellectuel, mais j'ai tourné mes idées d'une façon que je pense plus aisément abordable pour le grand public.

RAWLINS: Comment est-ce que les éditeurs vous traitent aujourd'hui ? Je sais que beaucoup de vos anciens titres n' étaient pas de votre choix. Est-ce que maintenant vos livres sortent comme vous le voulez ?

VANCE: Maintenant ils font !

RAWLINS: Je sais que "la Planète Géante" a subi des coupes radicales.

VANCE: Je n'ai pas fait beaucoup attention aux coupes, mais ils ont changé les noms sans me le demander ce qui m'a ennuyé profondément. Mais comme j'étais sans le sou, j'étais heureux de recevoir cinq cents dollars pour le livre.

RAWLINS: Qu'en est-il de quelques-uns de vos autres titres ?

VANCE: Un ancien livre appelé "Bird Island" a été renommée par l'éditeur "l'Ile du Péril", ce qui était idiot, parce qu'il n'y avait aucun péril."La Vie éternelle" n'était pas mon titre et je ne l'aime pas." Showboat World""les Baladins de la plante géante" je l'ai appelé Les Showboats Magnifiques de la Rivière Vissel Inférieure : Cusp 23, Planète Géante ; ils n'ont pas aimé cela, et l'ont appelé " Showboat World" , je trouve ce titre pourri. Cugel Saga n'est pas mon titre, je le déteste." The Effectuator" a été changé en "The Galactic Effectuator " .
comprend les 2 aventures de Miro Hetzel l'effectuateur (détective intergalactique) :"l'Agence Touristique du Terrier" et "le Tour de Freitzke"
Ce sont 2 longues nouvelles dont je recommande la lecture.

 

 

VANCE: Je n'aime pas le titre "Space Opera", mais comme j'ai été payé pour écrire un roman avec ce titre je ne peux pas me plaindre.
Extrait de la biographie de Dick par Anne Sutin: "Un directeur de collection de chez Pyramid Books (éditeur de livres de poche) avait résolu de commander deux romans ayant pour titre deux expressions-concepts archétypiques (et très commerciales) de la S.-F.: Space Opera et Zap Gun ["fusils à rayons"]. Jack Vance prit le premier, impatient de s'attaquer à un nouveau projet pour profiter des retombées de son récent prix Hugo, Dick s'appropria le second". Merci Gilles Goullet

RAWLINS: Est-ce que vous voulez dire que vous êtes parfois payé pour écrire un livre uniquement sur un titre ?

VANCE:Tout à fait. J'ai écrit "The Augmented Agent" pour coller parfaitement à une couverture. Je suis allé à une réception, et une éditrice de Planet Stories a dit qu'elle avait acheté bon marché les tableaux de quelques artistes. J'en ai obtenu deux.L'un montrait quelques papillons de nuit géants qui attaquent une personne, donc j'ai écrit une histoire appelée " Attaque Ecologique " ce qui est un titre pourri. L'autre montre une rangée de silos de missiles dans l'eau le long d'une côte. J'ai écrit "Augmented Agent" pour celui-là.
J'ai fait une autre histoire autour d'une couverture, montrant un tas de voiles dans l'espace.elle s'est avéré être une des meilleures nouvelles que j'ai jamais écrit "Sail 25 ou les Portes de l'Ailleurs ".

Ecological Onslaught ,Future mai 1953 Jack Vance: I-C-a-BeM, Amazing Stories Octobre 1961 Jack Vance: Sail 25, Amazing Stories Août 1964

RAWLINS: "Sail 25" qui a aussi été appelée à l'origine assez bizarrement : "Gateway to Strangeness".

VANCE: C'était pour une autre raison. L'éditeur a dû commander la couverture du magazine avant qu'il sût comment l'histoire allait être appelée, donc il a décidé que quel que soit le sujet de l'histoire elle serait appelée "Gateway to Strangeness".

RAWLINS: Y va-t-il eu une tentative d'adaptation d'une de vos histoires au cinéma ?

VANCE: Une fois, dans les années 50 d'après une nouvelle de Magnus Ridolph "Hard Luck Diggings" la pire que j'ai jamais écrit. Un producteur quelconque l'a lu, et je pense qu' il a aimé l'idée d'arbres intelligents.Rien n'a abouti.
Vance a envoyé le script de cinéma tiré de la nouvelle à la Twenty Century Fox

En ce temps-là j'avais eu l'intention de devenir un homme ecrivant un million de mots par année. Donc je me suis enfermé dans la maison d'un parent pendant un week-end et j'ai écrit les deux premieres nouvelles de Magnus Ridolph, les premiers avant-projets. Je ne pense pas que je les ai jamais relus.

RAWLINS: Comment est-ce que vous écrivez maintenant ? Est-ce que vous écrivez lentement ? Est-ce que vous récrivez?

VANCE: Je soigne mon écriture, et je suis très discipliné, donc je ne dois pas faire beaucoup de réécriture. J'aime écrire approximativement deux ou trois mille mots par jour, et j'aime écrire directement en suivant le premier avant-projet entier du livre sans réécrire, alors je reviens en arrière et je fais tout de suite un deuxième avant-projet entier. Mais je trouve cela plutot le matin en jetant un coup d'oeil au travail de la veille, en voyant quelque chose qui a besoin d'être changé, je suis bientôt happé, en un tour je réécris complètement le travail du jour.
Le traitement de texte a vraiment augmenté mon volume. J'avais l'habitude d'écrire à la main, ma femme le tapait à la machine, je le retravaillais encore et elle l'écrirait à nouveau à la machine. Mon Dieu ! Elle a fait beaucoup de travail. Mais c'était la seule façon de faire, parce que je ne pouvais pas écrire à la machine, c'est trop rigide.

RAWLINS: Vous avez une célèbre réputation de reclus. Est-ce que vous l'êtes ?

VANCE: J'aime avoir cette réputation. Cela ajoute une sorte de prestige.

RAWLINS: Les introductions d'Asimov à deux de vos histoires qui ont obtenu le Hugo "le Dernier Chateau" et "Les Maitres des Dragons", sont toutes deux consacrées à l'homme mystérieux que vous êtes. La première dit en effet, "la SF est une grande famille heureuse. Nous allons tous avec entrain aux conventions et nous batifolons ensemble, excepté Vance ". La seconde dit, en effet, que vous êtes impossible à localiser, mais il a réussi à trouver quelqu'un qui  vous connaît, à qui il a arraché un fait biographique égaré ou deux. C'est le mythe Vancéen, cependant votre téléphone est inscrit dans l'annuaire, vous répondez au téléphone, et pour autant que je sache vous avez accueilli amicalement tous ceux qui sont venus ici.

VANCE: Pas tout le monde. Je n'aime pas aller aux conventions et flemmarder. Et je ne réponds généralement pas aux lettres de n'importe qui.

RAWLINS: Demander à un écrivain de parler de son talent est toujours dérangeant. La première fois je vous ai rencontré je vous ai posé la question favorite de tous au sujet de Jack Vance " Où est-ce que vous avez appris votre merveilleux vocabulaire ? et vous avez dit " j'utilise beaucoup le dictionnaire ". Mais j'apprends aux gens à écrire, donc je suis intéressé par savoir comment les gens ont appris à le faire. Comment est-ce que vous avez appris ?

VANCE: En premier lieu, je pense que votre métier, c'est comme des mouches sur un taureau. Personne ne peut apprendre à quelqu'un comment écrire . Les gens vont dans des classes d'écriture parce qu'ils pensent qu'ils veulent écrire et qu'ils se raccrochent à tout. Le mieux je pense que vous pouvez faire, est d'apprendre aux gens la ponctuation et le phrasé... et d'une façon concevable mettre l'idée de rythme dans leurs têtes. A part cela, qu'est-ce que vous pouvez leur apprendre ?
Je pense que la meilleure façon d'apprendre à quelqu'un d'être écrivain est de le forcer à lire les vingt livres que je propose : Don Quichote, Du vent dans les Saules, les oeuvres de P. G. Wodehouse, les livres d'Oz, L'Atlas Historique du London Times  (mon livre favori,je ne connais rien d'autre de plus excitant pour l'imagination ), Watership Down, il peut y en avoir d'autres sur cette liste.
Jack  Vance:P.G.Wodehouse,l'inimitable Jeeves
Vance précise dans un autre interview "pour Wodehouse,seulement les oeuvres des années 20 " aprés il les juge médiocres ;
Les livres d'Oz ,classiques de littérature enfantine ecrits par L.J.Baum, sont "le Magicien d'Oz" pour le plus connu et d'autres livres qui se déroulent dans le même univers.
"Du Vent dans les Saules" écrit par Graham est un autre classique anglais

 

"Watership Down" est peut être le dernier livre que j'ai lu, réellement. C'est une grand oeuvre d'art ; il crée une atmosphère unique. Je pense que l'auteur est arrivé là à quelque chose auquel il ne s'attendait pas à obtenir. Il a été balayé par le succés... il a essayé de faire d'autres livres et s'est seulement cassé la figure.
Jack  Vance:Watership Down par Richard AdamsLivre classique en littérature anglaise qui raconte les aventures d'un groupe de lapins dans la campagne anglaise cherchant un endroit sûr pour établir un nouveau terrier où ils pourront vivre en paix.

RAWLINS: Ce livre n'est pas écrit ; il se déroule simplement.

VANCE: Exactement. Je ne le lirai plus jamais.

 

RAWLINS: Quelque part vous vous êtes décrit dans votre jeunesse comme attendant avec une impatience fiévreuse à côté de la boîte aux lettres la dernière livraison de "Weird Tales". Est que c'est un portrait exact?

VANCE: Oui. Nous habitions en campagne, et la boîte aux lettres était à environ un quart de mile de la maison. Je connaissais le jour ou le magazine était supposé arriver.

RAWLINS: Qu'est-ce qui vous a fait vous décider à devenir un écrivain ? Est-ce que vous avez ressenti que vous aviez quelque chose à dire?

VANCE: Non, non, non, non. Je voulais ma liberté, et le seul moyen auquel j'ai pensé pour être libre était d'être un écrivain. J'ai commencé l'université pour etre ingénieur des mines, j'ai changé pour une maîtrise de physique, mais je ne pouvais pas m'imaginer dedans, ces deux occupations m' ont paru trop contraignantes donc j'ai changé pour Anglais, Histoire et Journalisme. Et à ce moment là j'ai pris l'idée de cette carrière au sérieux. En seconde année de classe d'Anglais ,j'ai dû faire un devoir chaque semaine, donc j'ai décidé d'écrire une histoire, de bien la tourner, et d'essayer de la vendre. Quand la fournée d'histoires a été rendue, l'instructeur a dit à la classe, " Cette semaine, nous dépassons la norme. D'un côté en haut, nous avons, écrit par M. Smith, cette belle, poignante histoire d'un combat de boxe dans lequel vous pouvez sentir la colophane et sentir chaque coup. De l'autre côté en bas, écrit par une personne qui sera inconnue, nous avons ce morceau de soi-disante science-fiction ".

RAWLINS:C'est ainsi que vous avez appris... Quels sont vos favoris parmi vos travaux ?

VANCE:"Le Palais de l'Amour" à cause du poète fou Navarth. Et j'aime les deux derniers Prince-Démon : "Le Visage du Démon" et "le Livre des Rêves". Bien sûr vous savez que l'emblème du livre de Treesong a été imprimé sens dessus dessous dans l'édition DAW. Il était supposé ressembler à une représentation symbolique d'un pur esprit qui traverse l'espace dynamiquement, finalement ça ressemble à une baleine échouée.

RAWLINS: Qu'est-ce que vous lisez aujourd'hui ?

VANCE: Je n'ai jamais lu n'importe quoi en SF. J'ai cessé d'en lire, il y a tres, tres, trés longtemps. Je n'en ai pas lu depuis quarante ans.

RAWLINS: Au sujet d'autres choses ?

VANCE: J'avais l'habitude de lire des histoires de mystéres policiers... tous les deux ou trois ans on tombe sur une bombe.

RAWLINS: Est-ce que vous pensez que le virage vers la Hard SF et la Fantasy de ces dix dernières années a constitué une cassure pour vous ?

VANCE: Je ne fais pas beaucoup attention aux tendances. Si vous me dites qu'il y a eu un engouement pour la Fantasy, je l'accepterai, mais je ne lis pas de ces livres moi-même.

RAWLINS: Parmi les écrivains de Fantasy, votre travail est remarquablement "documenté" au vrai sens du terme, intellectuellement. Vous aimez décrire les évasions d'un emprisonnement physique, les tactiques d'un siège, et les stratégies de la bataille, par exemple. Vous êtes souvent rattaché au monde de "Donjon et Dragons" et "Epée et Sorcellerie" qui sont vus habituellement comme une évasion à l'émotivité juvénile.

VANCE: Je ne me considère pas moi-même comme un écrivain de Fantasy ; Je repousse totalement tout cela, les dragons et le reste. Mon travail de Fantasy que je peux compter sur les doigts d'une main, c'est "lUn Monde Magique" qui est très ancien, les autres livres qui s'y déroulent et la série de Lyonesse.

RAWLINS: Toujours dans vos livres de "Fantasy" il y a un grand respect pour le travail de l'intellect. Dans"Cugel l'Astucieux", il y a les épisodes de l'évasion de Cugel de la tour dans les Montagnes de Magnatz, une parfaite petite leçon de logistique de résolution des problèmes. Et tous vos héros peuvent le faire.

VANCE: Compétence, ils ont la compétence. Est-ce que vous avez lu "Cugel Saga ? "

RAWLINS: Oui. J'aime la scène dans l'auberge où Cugel et Bunderwal essaient de s'escroquer l'un l'autre à propos du travail sur le bateau.

VANCE: Oui, j'y pense et en rit quelquefois. Le problème avec l'écriture d'une histoire de Cugel c'est que vous ne pouvez pas lui permettre de devenir une farce. Parce qu'elle est supposée être... de la fantasy ou mais comme je n'aime pas le mot fantasy, doit y faire penser. Je l'imagine comme des aventures simples dans les lieux que je crée pour ce monde. À l'exception de deux livres où j'ai fait l'erreur d'y mettre quelque idéologie dedans.

RAWLINS: Je pense toujours la Fantasy a une connotation de l'accomplissement d'un souhait inconscient : "ayons une belle frayeur, tombons amoureux, fendons quelques crânes par l'épée".
Un des choses qui rendent votre travail remarquable c'est qu'il change de point de vue, d'humeur, de tempérament si souvent. Vos livres se refusent àêtre uniquement une seule sorte de genre. Lyonesse est un exemple parfait : il juxtapose un héroïsme remuant, une violence vraiment inquiétante et la cruauté, une amère comédie moire et bouffone, une satire, une romance pastorale, des résolutions de problèmes logiques et une aventure fanfaronne. Donc le lecteur change de registre de page en page, à un moment il sursaute avec horreur pour ensuite, la page suivante, éclater de rire. Par exemple, au milieu du long et terrifiant portrait de la Cour de Casmir, il y a ce bref échange poignant entre Suldrun et son inefficace mais affectueux professeur Maister James, si doux et sucré qu'il vous amène les larmes aux yeux. Puis, bien sur, vous allez nous faire payer cela en tuant James d'une façon particulièrement insatisfaisante. Comparez à cela disons Tolkien ou Herbert, où le ton, le point de vue sont les mêmes, page après page, durant tout le livre. Est-ce que vous faites ceci intentionnellement?

VANCE: Oui, j'essaie... Comment l'exprimer ? Je change de clef, pour ainsi dire.

RAWLINS: Je suspecte que cela fait travailler le lecteur beaucoup plus dur, donc de vous rendre plus dur à lire.

VANCE: Je sais que j'écris pour que les gens me lise, mais il y a longtemps que j'ai décidé que je ne ferais pas de concession au lecteur de base et que j'écrirais toujours pour la crème des lecteurs, la base ne doit s'en prendre qu'à elle-même. Je ne veux pas condescendre... parce que ce n'est pas un amusement.
Je vais vous dire la vérité. J'ai un esprit de compétition en moi, et je suis heureux que ma " réputation " comme vous l'appeliez se répande enfin au dehors ; et parfois j'obtiens une petite critique du monde du légitime " courant dominant "de la Science-fiction, et j'ai une petite touche... avec quelqu'un qui est finalement sur la même longueur d'onde.

RAWLINS: Votre travail est écrit principalement avec comme toile de fond la perte mélancolique et l'échec d'une attente héroïque ou romantique. Vos héros refusent généralement de jouer les héros. Gersen, par exemple, est austère et doux de ses aveux même. Vos héroïnes refusent penser à elles comme des objets romantiques, et souvent ronchonnent au long des livres, de rester attirantes malgré toutes leurs tentatives pour être odieuses, glaciales et sombres. Vos intrigues ont tendance à se terminer sur les doutes grandissants du héros à savoir s'il était vraiment sage d'entreprendre cette quête. La plupart du sujet de votre meilleur travail "La Terre Mourante," Le Dernier Château", " Les Ouvriers du Miracle"," Les Maîtres des Dragons" parle de la mort par usure, stagnation ou par révolution ratée d'anciennes et moribondes cultures encore abondamment riches. Vos mondes présentent fréquemment presque toujours de vieux et précieux artefacts culturels, comme "la Chanson du Ka", la poursuite de la quête finit toujours par piétiner ces objets dans sa course.

VANCE: Je suis trés touché par la notion  de  "perte". Nous revenons d'Europe où nous avons visité la Corse pour la première fois. J'étais curieux à son sujet. Je l'ai envisagé comme étant sauvage et primitive. J'avais aussi entendu quelque part qu'il y avait encore des brigands dans l'intérieur. Je la croyais, le pays de la vendetta, vous savez. Mais l'Europe a découvert la visite de groupe, et elle dévore tout son capital de beauté et de secret dans la poursuite au profit du tourisme de masse. Et alors, partout en Corse il y avait des hôtels et des immeubles. Les insulaires n'aiment pas ça, mais ne peuvent pas l'arrêter. C'est très triste à voir ; cet endroit est depouillé, dévoré. Ce n'est pas la faute du touriste.

RAWLINS: Dans vos livres le piétinement n'est habituellement pas méchant ; ces objets gênent seulement le passage.

VANCE: Cela a toujours été comme ça. Khan Genghis qui balaye l'Asie, détruisant ville après ville, leurs manuscrits inestimables et les miniatures, quelques Chrétiens idiots qui brûlent la bibliothèque d'Alexandrie, des Chrétiens espagnols qui brûlent tout l'art inca. ( c'est plutôt le conquérant arabe de l'Egypte qui décide de bruler  les parchemins de la bibliothéque d'Alexandrie)

RAWLINS: Votre travail plus tardif montre un sens profond de l'importance de la maison, de la propriété de famille, surtout.

VANCE: Oh, oui. J'aime mon chez moi, cette maison ou toute celle ou je vis. Même en Californie même à Oakland, je ressens de l'affection pour elle.

RAWLINS: Vos ancétres sont de vieux californiens, n'est-ce pas ?

VANCE: Tout à fait vieux, oui, de nombreuses générations. Mon grand-père est venu du Michigan approximativement en 1875. Ma grand-mère est née à San Francisco. Cela a dû se passer dans les années 1860. J'ai essayé de le retrouver, mais tous les registres ont été perdus dans l'incendie de San Francisco. Le feu s'est arrêté à deux blocs de la maison de mon grand-père.

RAWLINS: Le caractère de vos héros a beaucoup changé depuis vos débuts ; dans les livres comme "les Cinq rubans d'Or" le héros se déchaîne en accomplissant des choses à droite et à gauche. Dernièrement les choses paraissent avoir ralenti.

VANCE: C'est juste.

RAWLINS: Dans chacun des livres de la série des Princes Démons, quelque chose vient gâter la douceur de la victoire de Gersen, et dans "Le Livre de Rêves" il est volé du plaisir du meurtre du scélérat, un vieux couple adorable le précède et lui dérobe sa juste vengeance.

VANCE: Je l'ai fait parce que je ne pouvais pas envisager Gersen rester debout là face à face et éxécuter quelqu'un d'aussi vital que [Howard Alan] Treesong. Donc j'ai trouvé quelqu'un d'autre pour le faire. Il y a de la noblesse au sujet de Treesong ; il est une force élémentaire de la nature. Vous pouvez le tuer, mais sans gloire comme vous tueriez un serpent à sonnettes.

RAWLINS: Heinlein a dit une fois que quand il écrit un livre il s'imagine quelqu'un debout dans un magasin avec deux dollars dans la main essayant de choisir entre un pack de six bières et un livre, et il a conclu, " j'essaie d'être meilleur que la bière ". J'ai eu l'impression que vous estimez votre travail plus hautement que cela. Est ce vrai ?

VANCE: Oui, je pense que c'est vrai.

RAWLINS: Vous avez mentionné que vous aimez " les Portes de l'Ailleurs ". Donc allons-y. La caractérisation de l'instructeur...

VANCE: Henry Belt.

RAWLINS: est aussi profonde et subtile que n'importe qui dans la SF.Ceci suggère un problème : vous n'êtes pas supposés être capable d'écrire comme cela. Et c'est typique de votre travail. Il refuse d'entrer dans les catégories ordonnées par d'autres gens. Les interviewers continuent à vous demander que vous nommiez les écrivains qui vous ont influence, dans une tentative désespérée de représenter le trou de souris ou  vous logeriez parfaitement. Ils s'en vont toujours désappointés. Vous écrivez une SF dure, empirique dans la résolution des problèmes comme dans " Un Monde d'azur".Vous écrivez une satire sociale pénétrante comme la Nouvelle Vague aurait été fière d'écrire. Vous écrivez de la SF anthropologique qui tient le coup face à LeGuin . Vous êtes un maître du style comme Bradbury ou Bester. Vous ridiculisez des amuseurs comme Retief. Vous avez la mythique grandeur émotive des plus grands fantaisistes. Vous écrivez serré, brossant des aventures dramatiques quand c'est le moment. Vous êtes un des très peu nombreux écrivains de SF qui prennent plaisir a jouer sur et avec le langage, comme un medium. Vous prenez plaisir à vous rendre la tâche d'écrivain encore plus difficile, comme de décrire les performances musicales étrangères ou la compétition de l'imagerie dans " Le Seigneur des milles Planètes ". [JV: " Ouais, c'est amusant "] Et tout cela vraiment en plus de ce pourquoi vous êtes renommé : la création d'étranges mondes statiques, d'émotions suggérées sans noms terrestres. Vous paraissez être l'exemple classique de l'écrivain qui a été blessé par le besoin de mettre les écrivains et les livres dans des catégories. Je connais beaucoup de gens qui aimeraient votre travail sauf qu'ils se refusent à lire tout ouvrage avec une épée ou un vaisseau spatial dedans.

VANCE:Ca me fait grimper au mur qu'on me considère comme un écrivain d'épée et sorcellerie. Et les vaisseaux spatiaux sont seulement des moyens pour aller d'un environnement à un autre.

RAWLINS: Est-ce que vous partagez mon sentiment que vous devriez être un titan au milieu d'un champ ? Est-ce que vous avez une haute considération pour votre travail ?

VANCE: En plein dans le mille !!

RAWLINS: Je remarque que vous vous souvenez très bien de votre propre travail.

VANCE: Le mauvais travail, je l'oublie !


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