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Denis
Beckaert, grand fan de Vance lui aussi, m'adresse son reportage et ses photos prises
lors de la soirée conférence du 30 Octobre. Je
l'en remercie ici.
La Voix de Jack
Vance par
Denis Beckaert |
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Vendredi 30 octobre 1998, la nuit tombe sur le Futuroscope.
Les kilomètres parcourus dans la journée sont déjà oubliés, les bagages sont
à l’hôtel, et cette virée à Poitiers en compagnie de mon frère prend déjà un
savoureux goût d’aventure. Nous sommes sur la bonne piste : Utopia 98, festival
de la science-fiction européenne. Nous avons fait tout à l’heure notre tour
de reconnaissance, le salon des éditeurs, le hall d’exposition. Tiens ! Sur
le stand Caza, une boîte d’herbes à Chasch, un Roguschkoï en carton grandeur
nature. La bonne piste, c’est sûr, celle de Jack Vance !
Nous sommes là pour lui, Jack Vance, ce californien de 82 ans, qui passe quelque
jours en France à l’invitation des organisateurs du festival. A quoi ressemble
ce maître de l’Aventure, cet homme qui me raconte des histoires avant que je
m’endorme depuis tant d’années ? Je suis venu pour entendre sa voix.
Une annonce au stand du livre : les personnes munies du badge sont attendues
au cocktail de 19 h 30, au palais des congrès. Bien sûr, nous n’avons pas de
badge mais l’idée de quelques mondanités nous plaît assez. En attendant, nous
avons retrouvé la piste des festivaliers (ceux qui ont les badges) et nous buvons
une bière au bar de l’hôtel Melchior. Ils sont tous là, les barbus, les chauves
à lunettes, les jeunes chevelus en pull, quelques americains impeccables et
les invités italiens du festival (quatre mains : une pour le bloody mary, une
sur l’assiette de cacahuètes, et deux pour la conversation...).
OK, c’est l’heure. Je me rends vite à l’évidence, je n’ai pas l’ingéniosité
ni l’aplomb de Keith Gersen pour m’immiscer au cocktail. Dommage, j’ai pourtant
l’appareil photo dans la poche, comme un filet prêt à attraper le gros papillon
Jack Vance. Au bas de l’escalier, j’en profite pour indiquer à mon frère les
visages connus : Jacques Goimard (Presses Pocket), Jacques Sadoul (J’ai lu).
Un petit homme muni d’un drôle d’appareil photo multiflashes fait son apparition
et monte l’escalier. Mon frère blague : La prochaine fois, je viendrai déguisé
en extra-terrestre ! ».
Bon, direction l’amphithéâtre ; choisissons les meilleures places, et n’oublions
pas les casques de traduction.
Outre Goimard et Sadoul, d’autres personnalités prennent place sur scène. Elles
sont bientôt présentées par Bruno, le volubile animateur (inspirateur ?) de
la soirée, qui s’avère être un sérieux fan du grand homme. Il y a là Doug Headline
(des éditions Rivages), Jacques Chambon - s’il savait combien de fois j’ai pu
lire sa splendide introduction au Livre d’or de JV - les illustres illustrateurs
Caza et Siudmak, Arlette Rosemblum et des représentantes de l’association Axolotl
et du département de la Vienne (co-organisateurs). De ma place, je peux scruter
les coulisses. Il est là !
« Ladies and gentlemen ! From San Francisco, California, Jack Vance ! »
Je le photographie, guidé par Paul Rhoads et suivi par Norma sa femme.
Il est magnifique, imposant et ... aveugle.
Bruno della Chiesa invite chaque personne à poser une question, puis
ce sera le tour de la salle. Excellente idée !
Jacques Chambon attaque fort : Il rappelle à Jack qu’il lui a écrit
à deux reprises pour demander des repères biographiques.
Gentiment Jack s’exécute. Son histoire est en elle-même fascinante.
J’en retiens ici deux épisodes : Vers 18 ans, poussé par les nécessités de la
vie (séparation de ses parents) il décide de ne plus être le garçon féru de
culture classique à qui personne ne parle pour devenir un homme complet (
a real
man ) et connaître la vraie vie. Il ne reviendra à la littérature que dans ses
années de marine marchande (les années quarante). Jack précisera plus tard que
les nouvelles de Dying Earth ont été écrites en mer et envoyées chez lui aux
escales. Il ne les retrouvera que quelques années plus tard, alors qu’il était
encore charpentier. L’autre élément intéressant, c’est qu’à trois reprises,
il fit des voyages lointains avec Norma dans les années cinquante, et qu’à chaque
fois il se ruina , ce qui le poussa à écrire davantage et à rechercher le succès.
D’ailleurs il considère ses intrusions dans le domaine des "mysteries" comme
des tentatives commerciales sans lendemain. Sadoul demande une nouvelle fois
à Vance s’il pense que sa vie a influencé son oeuvre, s’il a transposé des situations
vécues. Jack réponds qu’il ne peut pas le dire avec certitude, mais qu’il est
sûr que tout ce qu’il a écrit vient de lui, nourri de multiples expériences
dans des milieux très divers. L’universitaire et très docte Goimard demande
s’il accepte pour son oeuvre la référence du nominalisme. Jack : « Quelle était
la question ? » Rires dans la salle....
Arlette Rosenblum ne pose pas à proprement parler de question, se confond en remerciements
sincères et complimente Vance pour la musique de sa langue. Jack la remercie
à son tour, pour la qualité de ses traductions. Il sait qu’ il est très bien
traduit en France, et se déclare agréablement surpris du nombre de ses fans
ici. Arlette, répondant à la salle, cite Suldrun, Thaëry et Le Livre des Rêves
comme ses chouchoux. Caza évoque les couleurs et le fort pouvoir évocateur de
Vance, l’écrivain idéal à illustrer selon lui car ses descriptions sont extrêmement
précises. Caza glisse en confidence qu’il travaille actuellement à un projet
autour de Tschaï mais qu’il ne peut en dire plus pour le moment. (bande dessinée
, long métrage d’animation, cd-rom ? Mystère...).
Siudmak a quant à lui une
conception opposée de l’ illustration, puisqu’il ne veut pas influencer le lecteur
en représentant des personnages et être ainsi un obstacle entre deux imaginaires,
celui de l ’auteur et celui du lecteur. Il préfère composer une variation à
base d’ éléments présents dans le livre (l’eau, le vent, la chaleur...) et demande
à Vance quels sont les éléments sur lesquels reposent son inspiration. Jack
est intrigué par la question et déclare que l’espace intersidéral en lui-même
est assez riche pour provoquer des angoisses, des tensions et rendre intéressants
des personnages. Ils deviennent vulnérables et donc à point pour l’aventure.
De nombreux fans présents dans la salle remercièrent Jack pour le bonheur qu’il
leur a apporté et reconnaissent l’opportunité de le rencontrer comme un rêve
devenu réalité. A la question de Serge Lehman qui remarque que les personnages
parlent tous avec langage raffiné quelles que soient les circonstances, JV réponds
que c’est beaucoup plus amusant pour lui d’écrire ainsi (more fun) et qu’il
ne souhaite jamais être désagréable à son lecteur.JV indique également que Cugel
(prononcé Kougueul) restait son personnage favori même s'il les aimait tous,
et qu'il s'était beaucoup amusé à écrire ses aventures.
Concernant le prétendu machisme de ses personnages masculins, Jack nie toute
volonté de les peindre en ce sens, mais quand Bruno repose la question à Norma
cette fois, il se hâte de répondre à sa place : « Norma pense comme moi ! »
Rires dans la salle, et sourire de Jack. Le petit homme à l’appareil photo alien
posa une question fort intéressante à mon avis : Pourquoi pas un cinquième volet
à Tschaï, Adam Reith sur Terre ? JV déclare avoir pensé à cela, mais qu’il aurait
détruit l’histoire entière en lui donnant un message supplémentaire. Le seul
climax possible était la libération des hommes et le départ d’Adam. Jack précisa
par ailleurs que quand il se mettait à écrire, il avait en tête l’ ensemble
des péripéties de l’histoire.
Plusieurs souhaits de longue vie à Jack furent émis et la remise du prix Utopia
98 conclut une soirée qui semblait avoir ravi le principal intéressé, qui montra
une affabilité et une gentillesse de tous les instants. Il resta quelques instants
sur scène à la disposition de ses fans pour signer quelques autographes d’une
main très sûre (la main d’un aveugle qui exécute un geste avec application).
Je laisse traîner une oreille et j’apprends ainsi qu’il accorde son banjo comme
une guitare à la manière New Orleans. Vous savez donc maintenant comment accorder
votre Khitan. L’euphorie de la soirée me pousse à toutes les audaces : je me
glisse derrière lui et mon frère me prend en photo en sa compagnie. Le tour
est joué ! Quel souvenir ! Mais le livre que j’ai emporté avec moi est resté
à l’hôtel ! Qu’importe, demain nous suivrons de nouveau la piste de Jack Vance
en quête d’une signature. Vous trouverez peut-être quelque part sur ces pages
la preuve que nous avons réussi.
Merci aux organisateurs de cette soirée merveilleuse, et
à Jacques Garin qui en a diffusé l’information sur son site, et sans qui je
n’aurais jamais entendu la voix de Jack Vance.
Denis Bekaert
Note
du webmestre : Denis me signale, mais devrais-je
le dire, que "le liquide ambré dans le verre" est une biêre
danoise trés connue et que Jack Vance en avait un pack en réserve sous sa
chaise !!!
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