
Jack Vance continue sans répit de créer
une « Planète Géante » après l'autre. par Kathie Huddleston
(Science-Fiction Weekly n°266 - 27 mai 2002)
Personne ne peut
nier l'impact que Jack Vance a eu dans les domaines de la science-fiction
et de la fantasy. Selon "l'Encyclopédie de la Science-fiction",
Vance est "un artiste paysager, un jardinier de mondes"
avec "du génie pour décrire les lieux." Ce génie l'a
conduit à écrire pendant plus de 50 ans des récits incroyables
se déroulant sur des mondes étonnants.
Né
en 1916 sous le nom de John Holbrook Vance, Vance a pratiqué
différents métiers avant de publier sa première nouvelle, Le
Penseur de Mondes, dans TWS en 1945 [paru dans "Docteur
Bizarre", Pocket n°5402]. Auteur de plus de 60 romans,
Vance sert de référence quand il s'agit de définir les genres
de la fantasy scientifique et du roman planétaire. Les séries
significatives sont The Dying Earth [Un Monde Magique, Cugel
l’Astucieux, Cugel Saga et Rhialto le Merveilleux], Planète
Géante [La Planète Géante et Les Baladins de la Planète Géante],
l'Aire Gaïane et Lyonesse. Il travaille actuellement à Lurulu,
la suite de son récent roman Escales dans les Etoiles. Toutes
ses œuvres seront rééditées dans leur forme originale par V.I.E.
(Vance Integral Edition).
Vance a obtenu
pratiquement toutes les récompenses et prix existant en science-fiction
et fantasy, tels que le Hugo, le Nebula, l'Edgar et le World
Fantasy. Il a aussi reçu la prestigieuse récompense de Grand
maître SFWA en 1996.
Science-Fiction
Weekly s’est entretenu avec Vance de ses débuts comme écrivain,
de son prochain roman et de son amour pour le jazz.
Quand
vous étiez enfant, avez-vous jamais imaginé que le monde serait
tel qu’il est aujourd'hui ? Vance : je ne veux pas
vous insulter aussi tôt dans l'interview, mais c'est une question
qui n'a pas de réponse valable, vraiment, parce que quand on
est un enfant, je veux dire, chacun spécule sur toutes les sortes
de mondes dans lesquels il va grandir. Mais j'y pensais peu.
Je me disais que les automobiles auraient des gros pots d’échappement
silencieux et qu’elles iraient très vite, et que les avions
voleraient vite. Je savais que le voyage dans l’espace était
imminent, mais je ne faisais pas trop de conjectures.
Avez-vous
voulu toujours être un auteur ?
Vance
: Oui. Non pas parce que j'ai un quelconque grand instinct créatif.
C'est uniquement parce que je voulais avoir un travail où je
n'aurais pas de patron, où je n'aurais pas besoin de me présenter
quelque part à une heure donnée. Et après avoir beaucoup bricolé
ici et là, j'y suis finalement arrivé. Je n'ai jamais travaillé
dans un bureau de ma vie. Cela vous limite, apparemment, quand
vous travaillez dans un bureau : vous êtes une créature dans
une petite cellule sous la surveillance et l'autorité de quelqu'un.
Mais j'ai bien sûr travaillé à des emplois où j'ai été soumis
à autorité. J'ai été charpentier pendant quelque temps, et tout
le monde surveille ce que vous faites. En fait, dans presque
n’importe quel boulot que vous faites, vous êtes surveillé.
Même
dans le travail que vous faites maintenant, comme écrivain. Vance
: Je ne m'en soucie pas. Je m'en inquiétais peut-être quand
j'étais très jeune, mais quand j'ai commencé à vendre des nouvelles,
je n'y ai plus pensé du tout. J'ai juste écrit ce que
j'avais envie d'écrire, du moment que ça se vendait. Je n'y
ai jamais gagné beaucoup d'argent, mais j'en ai vendu suffisamment.
Je n'ai jamais écrit pour le public. Jamais. Si je l'avais fait,
j'écrirais des Star Treks.
Comment
était l'ambiance des milieux des écrivains et de l'édition quand
vous avez commencé à écrire ? Vance : Très dure à
forcer. Dur d’y entrer et vous ne pouviez pas y gagner
d'argent. Je travaillais pour un demi cent le mot. D’abord,
je ne suis pas un auteur rapide, c'est pourquoi pendant les
premières années j'ai dû faire d'autres boulots. Comme je l'ai
mentionné, j'ai été charpentier pendant quelque temps. Puis
j'ai travaillé pour une société qui aménageait des immeubles
en bureaux. Un assez bon travail. J'avais une camionnette pour
moi tout seul, et j’étais plus ou moins maître de mon temps
pour faire ces aménagements. Le meilleur boulot possible, je
pense. C'était facile. C'est assez simple, comme du Lego. Par
contre, être charpentier était un travail beaucoup plus pénible,
vraiment. Cela exige beaucoup plus de vous, tant physiquement
que mentalement, vous savez — vous devez être sur le qui-vive
à cause des erreurs et parce que vous avez un contremaître qui
vous souffle dans le cou en permanence. Vous devez produire
ou vous vous faites jeter.
Qui
vous a influencé quand vous avez commencé à écrire ? Vance
: Eh bien, je pense que tout ce que j'ai jamais lu contribue
au contexte à partir duquel j'écris. Mais, par exemple, quand
j'étais terriblement jeune, j'ai lu tous les livres d'Oz. Ils
ont eu une énorme influence sur moi. Et ensuite il y a eu les
auteurs de l'usine à fiction d'Edouard Stratemeyer. [Howard
R. Garis et d'autres auteurs] utilisaient le pseudonyme de Roy
Rockwood et [ils] ont écrit différentes sortes d'histoires
de science-fiction.
[Ils]
ont écrit Through Space to Mars, Lost on the Moon
et The Mystery of the Centre of the Earth.
Ce genre d’histoire. Celles-ci ont été réellement, je crois,
les premières vraies histoires de science-fiction qui aient
été jamais publiées. Mettons de côté celles de Jules Verne et
d'H.G. Wells, qui n'ont jamais été écrites pour être de la science
fiction. Elles ont été écrites pour des motifs différents ou
des sentiments différents. H.G. Wells était un philosophe et
Verne, je crois, était un ingénieur. Je pense que les histoires
de Verne étaient un mélange d'histoires techniques et d’histoires
d'aventure, tandis que celles d'H.G.Wells cherchaient à régler
des comptes dans le domaine philosophique. Mais je ne suis un
spécialiste d’aucun de ces deux auteurs. C'est uniquement mon
impression générale. Mais Roy Rockwood, c'était de la science-fiction
pour la science-fiction. Plus tard, j'ai aimé P.G. Wodehouse.
Je trouvais que c’était un merveilleux auteur. Je le crois toujours
aujourd'hui. Je pense qu'il n'a pas été assez apprécié pour
sa créativité magnifique et sa belle écriture. Oh, ils rient
en le lisant mais ils ne le prennent pas au sérieux parce qu'il
semble frivole. Il a fait ce qu'il voulait faire et il l'a fait
joliment.
Puis
il y avait un auteur appelé Jeffrey Farnol, qui a écrit au début
des années 20. Il a écrit des histoires d'aventure magnifiques,
que j'ai lues pendant mon adolescence, je crois. J'ai été fasciné
par leur maîtrise de l'atmosphère, du rythme, l'excitation et
la bravoure. Il date un peu. Il y a du sentimentalisme dans
ses attitudes envers les dames et les vieillards. Il est très
courtois. Il n’est plus aussi connu qu’autrefois. Il a écrit
The Amateur Gentleman, qui est devenu un film. Ce sont deux
hommes que j'admire.
Il y avait aussi
Clark Ashton Smith, qui a écrit pour Weird Tales et qui avait
une imagination débordante. Ce n'était pas un auteur très doué,
mais son imagination était merveilleuse. Egalement Edgar Rice
Burroughs. Je ne pense pas qu'il ait eu une quelconque influence
sur mon écriture, mais j'ai aimé son travail quand j'étais jeune.
Particulièrement les livres de Barsoom. Burroughs savait suggérer
une atmosphère, particulièrement les livres de Barsoom.
Ceux-ci sont juste
le sommet de l'iceberg, parce que j'ai lu, je lis et relis.
Je lis de tout. Je n'ai jamais été publié quand j'étais jeune.
J'étais un lecteur omnivore, donc tout ce que j'ai lu m'a servi.
Il y avait un auteur dans les années 20 qui s’appelait Christopher
Morley, dont je me souviens un peu, et qui a eu une certaine
influence sur moi, mais je ne pourrais pas vous dire en quoi.
Vous
avez fortement contribué à définir les genres de fantasy scientifique
et le roman planétaire. Vous avez eu une grande influence sur
d'autres auteurs. Que pensez-vous de l'impact que vous avez
eu dans ce domaine? Vance : Je n'y pense pas. Je ne
suis pas concerné. Je ne suis pas particulièrement impressionné.
Ca ne veut pas dire… bon, je préfère que ce soit comme ça plutôt
que le contraire. Je n'ai pas beaucoup de vanité. Je sais seulement
ce que je fais. Je le fais uniquement parce que je suis capable
de le faire, et je le fais facilement sans aucune prétention.
Si cela arrive, cela signifie que je suis bon dans mon travail,
ce qu'évidemment je suis. Je dois dire que dans cette convention
[Vance était l'Auteur Invité d'Honneur cette année 2002 au NorwesCon],
ils m'ont flatté. Cette flatterie a été plutôt longue à venir.
Je pense que tout à coup, tard dans ma vie, j'obtiens maintenant
une petite récompense pour ce que j'ai fait. C’est gratifiant,
mais c'est un petit peu tard. J'aurais plutôt aimé que ce soit
accompagné de quelques gros chèques quand j'étais beaucoup plus
jeune [rires]. Pour ce qui concerne cette influence dont vous
parlez, elle ne m'affecte ni dans un sens ni dans l'autre.
Voyez-vous
cette influence quand vous lisez de la science-fiction ? Vance
: Je ne lis pas de science-fiction. Je n'en lis pas du tout.
Je ne suis pas allé voir un film depuis que quelqu'un m'a donné
des billets gratuits pour voir Star Wars, où je suis allé. C'est
juste que j'éprouve un dégoût total à faire partie d'un auditoire.
Assis là au mileu, chacun reniflant en même temps, et riant
en même temps. On pousse sur les manettes de chacun en même
temps. Je ressens cela comme une prostitution de masse. Je me
sens sali quand je suis assis avec un auditoire.
Je lis quand même
des livres. Je suppose que c'est toujours plus ou moins la même
chose, mais au moins je suis seul et je suis un individu. Je
peux m'arrêter quand je veux, ce que je fais fréquemment . Mais
c’est juste que je méprise les mass médias. Comme je le dis,
je ne lis jamais de science-fiction. Je ne sais pas même ce
qui s'y passe. Je connais [Robert] Silverberg, bien sûr, mais
je n'ai pas lu un seul de ses bouquins. Et Poul Anderson, qui
était mon cher ami, j'ai lu une de ses histoires une fois parce
qu'il figurait dans un petit livre produit par Ballantine. Il
y avait quatre histoires dedans. Une était de moi. Mais essentiellement
le livre était de Poul et de moi, et Poul y avait une très bonne
histoire. Cela parlait de sirènes, et sa description de la vie
sous-marine m'a paru très belle.
Que
lisez-vous maintenant ?
Vance
: Des énigmes policières. Je les lis grâce à des cassettes que
je fais venir de Sacramento. Je les commande et j'ai mes favoris.
Ma préférée est une dame appelée M.C. Beaton qui écrit à propos
d’un village écossais sur la côte nord-ouest de l'Ecosse, et
produit de merveilleux livres. Son protagoniste est Hamish Macbeth,
le policier du village. C'est un merveilleux auteur. Il y a
un élément d'humour dans son écriture.
Anne
Perry écrit des livres sur l'Angleterre victorienne. J'aime
assez son écriture, bien que le dernier livre que j'ai lu d'elle,
appelé Half Moon Street, ne m’ait pas plu du tout. Elle a la
mauvaise habitude de truffer son travail de chapitres de dialogues
qui ne font pas avancer l'histoire. C'est comme si elle avait
besoin de mettre des mots dans le livre, et tout le monde parle
à tout le monde. C'est joliment fait. Vous ne vous rendez pas
compte qu'elle ne fait rien d'autre que de faire parler des
gens ensemble. Mais si vous êtes critique, vous le remarquerez.
J'aime même aussi
cette bonne vieille Agatha Christie. Il y a quelque chose d'honnête
en elle. Elle n'a jamais eu la prétention d'être un grand auteur
ou quoi que ce soit.
John
MacDonald est un bon écrivain. Je n'aime pas ces épisodes sexuels
dans chaque livre. Je pense qu'ils gâchent les livres. Ils sont
totalement inutiles. Chacun de ses livres a un chapitre torride,
où vous pouvez voir la totalité du processus en marche. Et c'est
totalement inutile. J'ai honte pour lui, qu'il soit obligé mettre
une certaine quantité de sexe dans ses livres. À part cela,
c'est un merveilleux auteur.
Qu'est-ce
qui rend pour vous les policiers plus intéressants que la science-fiction
? Vance : Je ne sais pas. Je ne sais pas. Il me semble
que le niveau général en est meilleur. J'aime leur sens de l'endroit
où ça se passe. Certains auteurs ont fait de certains endroits
leur propriété privée. M.C.Beaton a pour elle ce petit village
dans le nord-ouest de l'Ecosse. MacDonald a obtenu Miami.
Quelle
est la chose qu’en tant qu’auteur vous n'avez pas encore faite? Vance
: Oh, je ne sais pas. Je n'ai rien vendu pour le cinéma. Autrement
dit, je n'ai pas encore obtenu d'énormes chèques. Maintenant
je suis si vieux que si j'avais un gros paquet d'argent, je
ne sais pas ce que j’en ferais. Je ne voyage plus désormais.
Je n'ai besoin de rien, ne désire rien. Je le donnerais à mon
fils, je pense, et je le laisserais en profiter.
Avez-vous
d'autres histoires à raconter? N'y a-t-il pas une suite à votre
dernier livre, Escales dans les Etoiles? Vance : Oui.
J'y travaille maintenant, bien sûr. Mais je suis si lent parce
que je trouve terriblement dur d'écrire à l'aveugle sur des
ordinateurs. L'ordinateur me parle, mais c'est si lent, je suis
tellement ralenti par son utilisation. Je n'aime pas être lent.
Donc, après ça, je ne sais pas. Je me sentirais probablement
très mal à l’aise si je ne travaillais pas sur quelque chose,
mais je n'ai rien en tête à l'heure actuelle. Quelque chose
me viendra peut-être.
La
suite d'Escales dans les Etoiles s'appelle Lurulu. Vance
: Oui. J’étais en train de terminer Escales dans les Etoiles
quand j’ai tout à coup réalisé que j'avais trop de matière pour
le livre. Alors assez brusquement, courageusement, j'ai presque
dit " A suivre". J'ai arrêté l'histoire et j'ai continué
sur le livre suivant. Autant que je sache, c'est sans précédent.
Mais je ne n’avais pas d’autre solution. L'histoire était telle
que je ne pouvais pas lui donner une fin élégante, et écrire
ensuite un nouveau début élégant. J'aurais pu, mais je n’ai
pas voulu. Ce n'est donc pas la façon la plus élégante d’écrire
une histoire. Cette nouvelle histoire, je pense, est un truc
pas mal. Elle me plaît, en tout cas.
Y
aura-t-il un autre livre dans la série ? Vance : Oh,
non. Cela conclura les deux livres. Lurulu est une sorte de
destinée romanesque.
Ca
a l’air d’être amusant. Vance : Oui. Mon travail d’écriture
est parfois une source d'amusement pour moi. Je me laisse distraire
par des choses dont je pense qu'elles sont amusantes. "Oh,
je pense que ce serait amusant d’écrire ça." Alors je l’écris,
et puis je me rends compte qu’en fait j’ai écrit quelque chose
qui est tout à fait inutile. On ne peut pas s’en servir dans
l'histoire, et ça ne colle pas. Alors je jette, tout simplement.
Je l'ai fait d'innombrables fois. Parfois, certaines de ces
petites excursions sur le côté sont utiles et je réussis à les
adapter dans le livre quelque part.
Escales
dans les Etoiles et Lurulu se passent dans l'univers de l'Aire
Gaïane. Qu'est-ce que cet univers a de spécial, pour vous ?
Vance
: Il n' a rien de spécial. Les vaisseaux spatiaux sont très
utiles du fait que cela vous permet d’aller d'une étoile à une
autre en un temps raisonnable, ce que nous ne pouvons pas faire
maintenant, bien sûr. Cela nous prendrait des vies entières,
dans des conditions carcérales, pour aller d'une étoile à une
autre. C'est si peu pratique que je doute que quelqu'un essayera
jamais d'aller d'ici vers n'importe quelle étoile. À moins que
nous ne trouvions un moyen plus rapide. Ainsi la plupart des
auteurs supposent qu'il y a des façons de franchir rapidement
l'espace pour aller d'une étoile à une autre en un temps raisonnable ;
c’est donc uniquement une convention d'écriture de la science-fiction,
qui en a plusieurs. Oh, [il y a] une foule de conventions qui
ne sont pas très raisonnables.
Une autre convention
est que partout ou vous allez les gens utilisent la même langue,
ce qui dans le cas de l'Aire Gaïane serait difficilement logique.
Les peuples, après avoir été isolés pendant des milliers d'années,
auraient développé des dialectes qui ne seraient pas compréhensibles
par les étrangers. Mais juste pour nous permettre d’arriver
sur un monde et pouvoir communiquer avec les gens qui vivent
là, vous devez faire l’hypothèse qu'ils parlent tous la même
langue. C'est une convention de science-fiction que tous nous
feignons de croire possible.
Quel
est le plus grand défi que vous ayez eu à affronter dans votre
carrière ? Vance : Oh, tout se rapporte à l'argent.
Défis. J'ai un instinct compétitif, bien sûr. Ce n'est pas que
j'essaye d'être meilleur que les autres, mais je me dis simplement
que si quelqu'un vend un livre pour 100000 $, je pourrais faire
la même chose. Je n’en veux pas au type qui a gagné 100000 $.
Je ne suis pas du tout envieux. Mais c'est uniquement que, bon
sang, pourquoi je n’y arrive pas ? Je m’en veux à moi-même.
J’en veux à mon agent. Bon, en un sens, c’est un peu de ma faute.
Quand j'ai commencé à écrire, j'ai utilisé, sans réfléchir,
Jack Vance, qui est mon nom. Je pense que j'aurais dû utiliser
John Holbrook Vance comme pseudonyme plutôt que Jack Vance,
parce que Jack Vance, ça ne fait pas très respectable. Tandis
que John Holbrook Vance fait plus stable et sérieux, et je pense
que ça aurait amené les gens à penser que j’étais un type sérieux
et grave, ce que je suis d’ailleurs, bien sûr. Bon, de toute
façon, quand je signe des livres, je suis heureux que mon nom
soit Jack Vance [rires].
Les
choses auraient peut-être été différentes si vous écriviez de
la Littérature plutôt que de la science-fiction et de la fantasy. Vance
: Oh, je le pense aussi. Je n’ai pas de prétention. Si quelqu'un
me demande ce que j'écris, je ne dis jamais que j'écris de la
science-fiction. Je pense que Kurt Vonnegut, bien qu'il soit
plus furieux et intense, si quelqu'un l'accuse d'écrire de la
science-fiction, il a une attaque. Moi, je les corrige. Je dis,
"Eh bien, je ne sais pas ce que j'écris. C'est de la fiction
spéculative. Fiction de l'avenir. Fiction d'anthropologie sociologique.
Et certaines personnes emploient même le terme « science-fiction »,
que je n'aime pas." Je dois passer par tout ça. Ce serait
si simple si je pouvais me résoudre à dire «science-fiction »,
mais je ne peux pas car je déteste le genre. Je n'y aime pas
les gens. Pas les auteurs, mais les fans. Les jeunes fans et
certaines de leurs attitudes d’adolescents, comme d'aller à
des conventions habillés de façon bizarre, le fait d’être des
Trekkies et de participer à toutes ces associations étranges.
Je pense que je ne veux pas être associé à ces gens-là. Il y
a beaucoup de gens, disons, à Seattle [à NorwesCon] j'en ai
rencontré quelques-uns, des personnes extrêmement agréables
qui sont brillantes, intelligentes.
Qu'est-ce
qui vous a le plus étonné au fil des années ? Vance
: Que je sois toujours vivant, je pense.
Vous
êtes toujours vivant et vous travaillez. Vance : Oui.
Si quelqu'un m'avait prédit que quand j'aurais mon âge, j'allais
être assis ici à travailler, au lieu d'être devant la télé,
j'aurais été étonné. Bien sûr, s'ils m'avaient dit que j'allais
être aveugle, je n'aurais pas aimé ça non plus.
Quand j'ai eu 8
ou 9 ans, je suis allé chez un ophtalmologiste, qui avait la
réputation d'être le meilleur ophtalmo de San Francisco. Et
il m'a dit, "Oh, mon garçon, lisez-vous beaucoup ?"
"Oui, docteur, je lis." "Eh bien, vous ne devez
pas lire autant. Vous devez vous arrêter, sinon vous allez devenir
aveugle quand vous serez plus vieux."
Je ne pense pas
qu'il savait de quoi il parlait, parce que mes yeux sont partis
suite à un glaucome, ce qui n'est pas certainement pas causé
par la lecture. C'est lié à d'autres facteurs. Il y a aussi
le fait que le docteur qui a essayé de réparer mes yeux l’a
fait en se servant d’un laser, et chaque fois qu'il m'a opéré,
mes yeux allaient encore plus mal. Il a finalement renoncé.
Et voilà ou j'en suis.
Vous
êtes un auteur très visuel. La perte de votre vision a-t-elle
eu un impact sur votre écriture ? Vance : Ca ne me
dérange pas du tout. J'ai de la mémoire, et je peux voir des
choses dans ma tête. Non, je ne manque pas d'images.
De
tout ce que vous avez écrit, quel est votre favori ? Vance
: Je ne veux même pas répondre à cette question. J'aime tous
mes ouvrages récents. Je n'aime pas beaucoup mes œuvres de jeunesse.
Je pense que j'apprenais simplement mon métier, en apprenant
les choses à ne pas faire, arrivant ainsi à être sacrément flamboyant.
J’essayais d'apprendre à écrire.
Quel
est le secret pour continuer à bien écrire ?
Vance
:Pas de maladie d'Alzheimer, première chose. Vous le savez aussi
bien que moi. Continuer à avoir une certaine envie d’écrire,
continuer à avoir des idées et devenir fébrile si vous n'écrivez
pas. A l'heure actuelle, je serai heureux de faire une petite
pause et de ne plus écrire jusqu’à ce que j’aie une autre idée,
ce que je n'ai pas actuellement.
Ca ne me gêne pas
d’avoir mon âge. Je n'ai pas peur de mourir, car tout d'abord,
cela ne sert à rien. C'est idiot d'avoir peur, je pense, de
toute façon. Je n'aimerais pas avoir un cancer comme le pauvre
Poul Anderson. Je suis affreusement désolé pour lui. J'ai une
extrême admiration pour Poul . C'était un homme très bien. Un
de mes meilleurs amis , vraiment, Poul.
Cela
fait longtemps que vous imaginez l'avenir. Où pensez-vous que
l'humanité se dirige? Vance : Ne me posez pas ces
questions. Vous vous attendez à ce que je sorte des remarques
pleines de sagesse, qui vont étonner tout le monde, et on dira
" Ce Jack Vance, il sait. C'est un vrai philosophe."
Manifestement, je n'en sais pas plus sur l'avenir que tout un
chacun.
Quels
sont vos centres d'intérêt quand vous n'écrivez pas ? Vance
: L’un d'entre eux est la cosmologie. Des choses comme la mécanique
quantique. La physique astronomique, qui est de la cosmologie,
essentiellement. Je lis un bon livre, en ce moment, écrit par
un type qui s'appelle Martin Rees, le titre est Before
the Beginning [Avant Le Commencement]. Je ne vous ennuierai
pas avec mes théories, mais je reste plutôt sceptique sur certaines
idées. J'aime discuter de ces idées et argumenter avec des astrophysiciens.
Oh, un de mes grands
intérêts dans la vie —en fait, je me considère plus comme un
musicien qu’un écrivain, la moitié du temps — c'est la musique
de jazz . Le jazz d’origine, pas le prétendu nouveau jazz ,
que je ne considère pas du tout comme du jazz. C'est juste du
bruit abstrait. Mais le jazz original, le jazz de la Nouvelle
Orléans, continue aujourd'hui. Ce n'est pas de la musique populaire,
mais c'est de la grande musique. Je jouais autrefois du cornet
et aussi du banjo, mais quand ma vue m’a lâché, j'ai raccroché.
Etiez-vous
un bon interprète ?
Vance : Mon meilleur
instrument était l'harmonica [rires]. Non, je ne peux pas dire
que j'étais un bon interprète. Mes doigts ont toujours été sacrément
trop épais. Mais j'ai joué dans des orchestres de temps en temps.
Personne n'a essayé de me contacter quand ils avaient besoin
de quelqu'un pour jouer, uniquement en dernier ressort. Mais
j'ai aimé ça passionnément.
Quel
conseil donneriez-vous à de nouveaux auteurs débutants et qui
cherchent à être publiés ? Vance : Uniquement l'évidence :
simplement travailler. C'est la clef. Et de ne pas essayer d'écrire
dans un style trop flamboyant. Autrement dit, n’essayez pas
d'être ultra-spectaculaire. Essayez de faire un travail solide,
ne pas gonfler le texte avec des tas d'adjectifs et d'adverbes.
Le principal est d'avoir une bonne histoire, un bon scénario.
Ayez de bons personnages et n'essayez pas de frapper le gong
tout le temps. Restreignez vous un peu dans votre écriture.
http://www.scifi.com/sfw/issue266/interview.html
© tous droits réservés Traduction de Patrick
Dusoulier (avec tous mes remerciements)
"The Mystery
of the Centre of the Earth" de Roy Rockwood http://digital.library.upenn.edu/webbin/gutbook/lookup?num=4994
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