Jack Vance continue sans répit de créer une « Planète Géante » après l'autre.
par Kathie Huddleston (Science-Fiction Weekly n°266 - 27 mai 2002)

Personne ne peut nier l'impact que Jack Vance a eu dans les domaines de la science-fiction et de la fantasy. Selon "l'Encyclopédie de la Science-fiction", Vance est "un artiste paysager, un jardinier de mondes" avec "du génie pour décrire les lieux." Ce génie l'a conduit à écrire pendant plus de 50 ans des récits incroyables se déroulant sur des mondes étonnants.

Né en 1916 sous le nom de John Holbrook Vance, Vance a pratiqué différents métiers avant de publier sa première nouvelle, Le Penseur de Mondes, dans TWS en 1945 [paru dans "Docteur Bizarre", Pocket n°5402]. Auteur de plus de 60 romans, Vance sert de référence quand il s'agit de définir les genres de la fantasy scientifique et du roman planétaire. Les séries significatives sont The Dying Earth [Un Monde Magique, Cugel l’Astucieux, Cugel Saga et Rhialto le Merveilleux], Planète Géante [La Planète Géante et Les Baladins de la Planète Géante], l'Aire Gaïane et Lyonesse. Il travaille actuellement à Lurulu, la suite de son récent roman Escales dans les Etoiles. Toutes ses œuvres seront rééditées dans leur forme originale par V.I.E. (Vance Integral Edition).

Vance a obtenu pratiquement toutes les récompenses et prix existant en science-fiction et fantasy, tels que le Hugo, le Nebula, l'Edgar et le World Fantasy. Il a aussi reçu la prestigieuse récompense de Grand maître SFWA en 1996.

Science-Fiction Weekly s’est entretenu avec Vance de ses débuts comme écrivain, de son prochain roman et de son amour pour le jazz.

Quand vous étiez enfant, avez-vous jamais imaginé que le monde serait tel qu’il est aujourd'hui ?
Vance : je ne veux pas vous insulter aussi tôt dans l'interview, mais c'est une question qui n'a pas de réponse valable, vraiment, parce que quand on est un enfant, je veux dire, chacun spécule sur toutes les sortes de mondes dans lesquels il va grandir. Mais j'y pensais peu. Je me disais que les automobiles auraient des gros pots d’échappement silencieux et qu’elles iraient très vite, et que les avions voleraient vite. Je savais que le voyage dans l’espace était imminent, mais je ne faisais pas trop de conjectures.

Avez-vous voulu toujours être un auteur ?
Vance : Oui. Non pas parce que j'ai un quelconque grand instinct créatif. C'est uniquement parce que je voulais avoir un travail où je n'aurais pas de patron, où je n'aurais pas besoin de me présenter quelque part à une heure donnée. Et après avoir beaucoup bricolé ici et là, j'y suis finalement arrivé. Je n'ai jamais travaillé dans un bureau de ma vie. Cela vous limite, apparemment, quand vous travaillez dans un bureau : vous êtes une créature dans une petite cellule sous la surveillance et l'autorité de quelqu'un. Mais j'ai bien sûr travaillé à des emplois où j'ai été soumis à autorité. J'ai été charpentier pendant quelque temps, et tout le monde surveille ce que vous faites. En fait, dans presque n’importe quel boulot que vous faites, vous êtes surveillé.

Même dans le travail que vous faites maintenant, comme écrivain.
Vance : Je ne m'en soucie pas. Je m'en inquiétais peut-être quand j'étais très jeune, mais quand j'ai commencé à vendre des nouvelles,  je n'y ai plus pensé du tout. J'ai juste écrit ce que j'avais envie d'écrire, du moment que ça se vendait. Je n'y ai jamais gagné beaucoup d'argent, mais j'en ai vendu suffisamment. Je n'ai jamais écrit pour le public. Jamais. Si je l'avais fait, j'écrirais des Star Treks.

Comment était l'ambiance des milieux des écrivains et de l'édition quand vous avez commencé à écrire ?
Vance : Très dure à forcer. Dur d’y entrer et vous ne pouviez  pas y gagner d'argent. Je travaillais pour un demi cent le mot. D’abord, je ne suis pas un auteur rapide, c'est pourquoi pendant les premières années j'ai dû faire d'autres boulots. Comme je l'ai mentionné, j'ai été charpentier pendant quelque temps. Puis j'ai travaillé pour une société qui aménageait des immeubles en bureaux. Un assez bon travail. J'avais une camionnette pour moi tout seul, et j’étais plus ou moins maître de mon temps pour faire ces aménagements. Le meilleur boulot possible, je pense. C'était facile. C'est assez simple, comme du Lego. Par contre, être charpentier était un travail beaucoup plus pénible, vraiment. Cela exige beaucoup plus de vous, tant physiquement que mentalement, vous savez — vous devez être sur le qui-vive à cause des erreurs et parce que vous avez un contremaître qui vous souffle dans le cou en permanence. Vous devez produire ou vous vous faites jeter.

Qui vous a influencé quand vous avez commencé à écrire ?
Vance : Eh bien, je pense que tout ce que j'ai jamais lu contribue au contexte à partir duquel j'écris. Mais, par exemple, quand j'étais terriblement jeune, j'ai lu tous les livres d'Oz. Ils ont eu une énorme influence sur moi. Et ensuite il y a eu les auteurs de l'usine à fiction d'Edouard Stratemeyer. [Howard R. Garis et d'autres auteurs] utilisaient le pseudonyme de Roy Rockwood et [ils] ont écrit différentes sortes d'histoires de science-fiction.

[Ils] ont écrit Through Space to Mars, Lost on the Moon et The Mystery of the Centre of the Earth. Ce genre d’histoire. Celles-ci ont été réellement, je crois, les premières vraies histoires de science-fiction qui aient été jamais publiées. Mettons de côté celles de Jules Verne et d'H.G. Wells, qui n'ont jamais été écrites pour être de la science fiction. Elles ont été écrites pour des motifs différents ou des sentiments différents. H.G. Wells était un philosophe et Verne, je crois, était un ingénieur. Je pense que les histoires de Verne étaient un mélange d'histoires techniques et d’histoires d'aventure, tandis que celles d'H.G.Wells cherchaient à régler des comptes dans le domaine philosophique. Mais je ne suis un spécialiste d’aucun de ces deux auteurs. C'est uniquement mon impression générale. Mais Roy Rockwood, c'était de la science-fiction pour la science-fiction. Plus tard, j'ai aimé P.G. Wodehouse. Je trouvais que c’était un merveilleux auteur. Je le crois toujours aujourd'hui. Je pense qu'il n'a pas été assez apprécié pour sa créativité magnifique et sa belle écriture. Oh, ils rient en le lisant mais ils ne le prennent pas au sérieux parce qu'il semble frivole. Il a fait ce qu'il voulait faire et il l'a fait joliment.

Puis il y avait un auteur appelé Jeffrey Farnol, qui a écrit au début des années 20. Il a écrit des histoires d'aventure magnifiques, que j'ai lues pendant mon adolescence, je crois. J'ai été fasciné par leur maîtrise de l'atmosphère, du rythme, l'excitation et la bravoure. Il date un peu. Il y a du sentimentalisme dans ses attitudes envers les dames et les vieillards. Il est très courtois. Il n’est plus aussi connu qu’autrefois. Il a écrit The Amateur Gentleman, qui est devenu un film. Ce sont deux hommes que j'admire.

Il y avait aussi Clark Ashton Smith, qui a écrit pour Weird Tales et qui avait une imagination débordante. Ce n'était pas un auteur très doué, mais son imagination était merveilleuse. Egalement Edgar Rice Burroughs. Je ne pense pas qu'il ait eu une quelconque influence sur mon écriture, mais j'ai aimé son travail quand j'étais jeune. Particulièrement les livres de Barsoom. Burroughs savait suggérer une atmosphère, particulièrement les livres de Barsoom.

Ceux-ci sont juste le sommet de l'iceberg, parce que j'ai lu, je lis et relis. Je lis de tout. Je n'ai jamais été publié quand j'étais jeune. J'étais un lecteur omnivore, donc tout ce que j'ai lu m'a servi. Il y avait un auteur dans les années 20 qui s’appelait Christopher Morley, dont je me souviens un peu, et qui a eu une certaine influence sur moi, mais je ne pourrais pas vous dire en quoi.

Vous avez fortement contribué à définir les genres de fantasy scientifique et le roman planétaire. Vous avez eu une grande influence sur d'autres auteurs. Que pensez-vous de l'impact que vous avez eu dans ce domaine?
Vance : Je n'y pense pas. Je ne suis pas concerné. Je ne suis pas particulièrement impressionné. Ca ne veut pas dire… bon, je préfère que ce soit comme ça plutôt que le contraire. Je n'ai pas beaucoup de vanité. Je sais seulement ce que je fais. Je le fais uniquement parce que je suis capable de le faire, et je le fais facilement sans aucune prétention. Si cela arrive, cela signifie que je suis bon dans mon travail, ce qu'évidemment je suis. Je dois dire que dans cette convention [Vance était l'Auteur Invité d'Honneur cette année 2002 au NorwesCon], ils m'ont flatté. Cette flatterie a été plutôt longue à venir. Je pense que tout à coup, tard dans ma vie, j'obtiens maintenant une petite récompense pour ce que j'ai fait. C’est gratifiant, mais c'est un petit peu tard. J'aurais plutôt aimé que ce soit accompagné de quelques gros chèques quand j'étais beaucoup plus jeune [rires]. Pour ce qui concerne cette influence dont vous parlez, elle ne m'affecte ni dans un sens ni dans l'autre.

Voyez-vous cette influence quand vous lisez de la science-fiction ?
Vance : Je ne lis pas de science-fiction. Je n'en lis pas du tout. Je ne suis pas allé voir un film depuis que quelqu'un m'a donné des billets gratuits pour voir Star Wars, où je suis allé. C'est juste que j'éprouve un dégoût total à faire partie d'un auditoire. Assis là au mileu, chacun reniflant en même temps, et riant en même temps. On pousse sur les manettes de chacun en même temps. Je ressens cela comme une prostitution de masse. Je me sens sali quand je suis assis avec un auditoire.

Je lis quand même des livres. Je suppose que c'est toujours plus ou moins la même chose, mais au moins je suis seul et je suis un individu. Je peux m'arrêter quand je veux, ce que je fais fréquemment . Mais c’est juste que je méprise les mass médias. Comme je le dis, je ne lis jamais de science-fiction. Je ne sais pas même ce qui s'y passe. Je connais [Robert] Silverberg, bien sûr, mais je n'ai pas lu un seul de ses bouquins. Et Poul Anderson, qui était mon cher ami, j'ai lu une de ses histoires une fois parce qu'il figurait dans un petit livre produit par Ballantine. Il y avait quatre histoires dedans. Une était de moi. Mais essentiellement le livre était de Poul et de moi, et Poul y avait une très bonne histoire. Cela parlait de sirènes, et sa description de la vie sous-marine m'a paru très belle.

Que lisez-vous maintenant ?
Vance : Des énigmes policières. Je les lis grâce à des cassettes que je fais venir de Sacramento. Je les commande et j'ai mes favoris. Ma préférée est une dame appelée M.C. Beaton qui écrit à propos d’un village écossais sur la côte nord-ouest de l'Ecosse,  et produit de merveilleux livres. Son protagoniste est Hamish Macbeth, le policier du village. C'est un merveilleux auteur. Il y a un élément d'humour dans son écriture.

Anne Perry écrit des livres sur l'Angleterre victorienne. J'aime assez son écriture, bien que le dernier livre que j'ai lu d'elle, appelé Half Moon Street, ne m’ait pas plu du tout. Elle a la mauvaise habitude de truffer son travail de chapitres de dialogues qui ne font pas avancer l'histoire. C'est comme si elle avait besoin de mettre des mots dans le livre, et tout le monde parle à tout le monde. C'est joliment fait. Vous ne vous rendez pas compte qu'elle ne fait rien d'autre que de faire parler des gens ensemble. Mais si vous êtes critique, vous le remarquerez.

J'aime même aussi cette bonne vieille Agatha Christie. Il y a quelque chose d'honnête en elle. Elle n'a jamais eu la prétention d'être un grand auteur ou quoi que ce soit.

John MacDonald est un bon écrivain. Je n'aime pas ces épisodes sexuels dans chaque livre. Je pense qu'ils gâchent les livres. Ils sont totalement inutiles. Chacun de ses livres a un chapitre torride, où vous pouvez voir la totalité du processus en marche. Et c'est totalement inutile. J'ai honte pour lui, qu'il soit obligé mettre une certaine quantité de sexe dans ses livres. À part cela, c'est un merveilleux auteur.

Qu'est-ce qui rend pour vous les policiers plus intéressants que la science-fiction ?
Vance : Je ne sais pas. Je ne sais pas. Il me semble que le niveau général en est meilleur. J'aime leur sens de l'endroit où ça se passe. Certains auteurs ont fait de certains endroits leur propriété privée. M.C.Beaton a pour elle ce petit village dans le nord-ouest de  l'Ecosse. MacDonald a obtenu Miami.

Quelle est la chose qu’en tant qu’auteur vous n'avez pas encore faite?
Vance : Oh, je ne sais pas. Je n'ai rien vendu pour le cinéma. Autrement dit, je n'ai pas encore obtenu d'énormes chèques. Maintenant je suis si vieux que si j'avais un gros paquet d'argent, je ne sais pas ce que j’en ferais. Je ne voyage plus désormais. Je n'ai besoin de rien, ne désire rien. Je le donnerais à mon fils, je pense, et je le laisserais en profiter.

Avez-vous d'autres histoires à raconter? N'y a-t-il pas une suite à votre dernier livre, Escales dans les Etoiles?
Vance : Oui. J'y travaille maintenant, bien sûr. Mais je suis si lent parce que je trouve terriblement dur d'écrire à l'aveugle sur des ordinateurs. L'ordinateur me parle, mais c'est si lent, je suis tellement ralenti par son utilisation. Je n'aime pas être lent. Donc, après ça, je ne sais pas. Je me sentirais probablement très mal à l’aise si je ne travaillais pas sur quelque chose, mais je n'ai rien en tête à l'heure actuelle. Quelque chose me viendra peut-être.

La suite d'Escales dans les Etoiles s'appelle Lurulu.
Vance : Oui. J’étais en train de terminer Escales dans les Etoiles quand j’ai tout à coup réalisé que j'avais trop de matière pour le livre. Alors assez brusquement, courageusement, j'ai presque dit " A suivre". J'ai arrêté l'histoire et j'ai continué sur le livre suivant. Autant que je sache, c'est sans précédent. Mais je ne n’avais pas d’autre solution. L'histoire était telle que je ne pouvais pas lui donner une fin élégante, et écrire ensuite un nouveau début élégant. J'aurais pu, mais je n’ai pas voulu. Ce n'est donc pas la façon la plus élégante d’écrire une histoire. Cette nouvelle histoire, je pense, est un truc pas mal. Elle me plaît, en tout cas.

Y aura-t-il un autre livre dans la série ?
Vance : Oh, non. Cela conclura les deux livres. Lurulu est une sorte de destinée romanesque.

Ca a l’air d’être amusant.
Vance : Oui. Mon travail d’écriture est parfois une source d'amusement pour moi. Je me laisse distraire par des choses dont je pense qu'elles sont amusantes. "Oh, je pense que ce serait amusant d’écrire ça." Alors je l’écris, et puis je me rends compte qu’en fait j’ai écrit quelque chose qui est tout à fait inutile. On ne peut pas s’en servir dans l'histoire, et ça ne colle pas. Alors je jette, tout simplement. Je l'ai fait d'innombrables fois. Parfois, certaines de ces petites excursions sur le côté sont utiles et je réussis à les adapter dans le livre quelque part.

Escales dans les Etoiles et Lurulu se passent dans l'univers de l'Aire Gaïane. Qu'est-ce que cet univers a de spécial, pour vous ?
Vance : Il n' a rien de spécial. Les vaisseaux spatiaux sont très utiles du fait que cela vous permet d’aller d'une étoile à une autre en un temps raisonnable, ce que nous ne pouvons pas faire maintenant, bien sûr. Cela nous prendrait des vies entières, dans des conditions carcérales, pour aller d'une étoile à une autre. C'est si peu pratique que je doute que quelqu'un essayera jamais d'aller d'ici vers n'importe quelle étoile. À moins que nous ne trouvions un moyen plus rapide. Ainsi la plupart des auteurs supposent qu'il y a des façons de franchir rapidement l'espace pour aller d'une étoile à une autre en un temps raisonnable ; c’est donc uniquement une convention d'écriture de la science-fiction, qui en a plusieurs. Oh, [il y a] une foule de conventions qui ne sont pas très raisonnables.

Une autre convention est que partout ou vous allez les gens utilisent la même langue, ce qui dans le cas de l'Aire Gaïane serait difficilement logique. Les peuples, après avoir été isolés pendant des milliers d'années, auraient développé des dialectes qui ne seraient pas compréhensibles par les étrangers. Mais juste pour nous permettre d’arriver sur un monde et pouvoir communiquer avec les gens qui vivent là, vous devez faire l’hypothèse qu'ils parlent tous la même langue. C'est une convention de science-fiction que tous nous feignons de croire possible.

Quel est le plus grand défi que vous ayez eu à affronter dans votre carrière ?
Vance : Oh, tout se rapporte à l'argent. Défis. J'ai un instinct compétitif, bien sûr. Ce n'est pas que j'essaye d'être meilleur que les autres, mais je me dis simplement que si quelqu'un vend un livre pour 100000 $, je pourrais faire la même chose. Je n’en veux pas au type qui a gagné 100000 $. Je ne suis pas du tout envieux. Mais c'est uniquement que, bon sang, pourquoi je n’y arrive pas ? Je m’en veux à moi-même. J’en veux à mon agent. Bon, en un sens, c’est un peu de ma faute. Quand j'ai commencé à écrire, j'ai utilisé, sans réfléchir, Jack Vance, qui est mon nom. Je pense que j'aurais dû utiliser John Holbrook Vance comme pseudonyme plutôt que Jack Vance, parce que Jack Vance, ça ne fait pas très respectable. Tandis que John Holbrook Vance fait plus stable et sérieux, et je pense que ça aurait amené les gens à penser que j’étais un type sérieux et grave, ce que je suis d’ailleurs, bien sûr. Bon, de toute façon, quand je signe des livres, je suis heureux que mon nom soit Jack Vance [rires].

Les choses auraient peut-être été différentes si vous écriviez de la Littérature plutôt que de la science-fiction et de la fantasy.
Vance : Oh, je le pense aussi. Je n’ai pas de prétention. Si quelqu'un me demande ce que j'écris, je ne dis jamais que j'écris de la science-fiction. Je pense que Kurt Vonnegut, bien qu'il soit plus furieux et intense, si quelqu'un l'accuse d'écrire de la science-fiction, il a une attaque. Moi, je les corrige. Je dis, "Eh bien, je ne sais pas ce que j'écris. C'est de la fiction spéculative. Fiction de l'avenir. Fiction d'anthropologie sociologique. Et certaines personnes emploient même le terme « science-fiction », que je n'aime pas." Je dois passer par tout ça. Ce serait si simple si je pouvais me résoudre à dire «science-fiction », mais je ne peux pas car je déteste le genre. Je n'y aime pas les gens. Pas les auteurs, mais les fans. Les jeunes fans et certaines de leurs attitudes d’adolescents, comme d'aller à des conventions habillés de façon bizarre, le fait d’être des Trekkies et de participer à toutes ces associations étranges. Je pense que je ne veux pas être associé à ces gens-là. Il y a beaucoup de gens, disons, à Seattle [à NorwesCon] j'en ai rencontré quelques-uns, des personnes extrêmement agréables qui sont brillantes, intelligentes.

Qu'est-ce qui vous a le plus étonné au fil des années ?
Vance : Que je sois toujours vivant, je pense.

Vous êtes toujours vivant et vous travaillez.
Vance : Oui. Si quelqu'un m'avait prédit que quand j'aurais mon âge, j'allais être assis ici à travailler, au lieu d'être devant la télé, j'aurais été étonné. Bien sûr, s'ils m'avaient dit que j'allais être aveugle, je n'aurais pas aimé ça non plus.

Quand j'ai eu 8 ou 9 ans, je suis allé chez un ophtalmologiste, qui avait la réputation d'être le meilleur ophtalmo de San Francisco. Et il m'a dit, "Oh, mon garçon, lisez-vous beaucoup ?" "Oui, docteur, je lis." "Eh bien, vous ne devez pas lire autant. Vous devez vous arrêter, sinon vous allez devenir aveugle quand vous serez plus vieux."

Je ne pense pas qu'il savait de quoi il parlait, parce que mes yeux sont partis suite à un glaucome, ce qui n'est pas certainement pas causé par la lecture. C'est lié à d'autres facteurs. Il y a aussi le fait que le docteur qui a essayé de réparer mes yeux l’a fait en se servant d’un laser, et chaque fois qu'il m'a opéré, mes yeux allaient encore plus mal. Il a finalement renoncé. Et voilà ou j'en suis.

Vous êtes un auteur très visuel. La perte de votre vision a-t-elle eu un impact sur votre écriture ?
Vance : Ca ne me dérange pas du tout. J'ai de la mémoire, et je peux voir des choses dans ma tête. Non, je ne manque pas d'images.

De tout ce que vous avez écrit, quel est votre favori ?
Vance : Je ne veux même pas répondre à cette question. J'aime tous mes ouvrages récents. Je n'aime pas beaucoup mes œuvres de jeunesse. Je pense que j'apprenais simplement mon métier, en apprenant les choses à ne pas faire, arrivant ainsi à être sacrément flamboyant. J’essayais d'apprendre à  écrire.

Quel est le secret pour continuer à bien écrire ?
Vance :Pas de maladie d'Alzheimer, première chose. Vous le savez aussi bien que moi. Continuer à avoir une certaine envie d’écrire, continuer à avoir des idées et devenir fébrile si vous n'écrivez pas. A l'heure actuelle, je serai heureux de faire une petite pause et de ne plus écrire jusqu’à ce que j’aie une autre idée, ce que je n'ai pas actuellement.

Ca ne me gêne pas d’avoir mon âge. Je n'ai pas peur de mourir, car tout d'abord, cela ne sert à rien. C'est idiot d'avoir peur, je pense, de toute façon. Je n'aimerais pas avoir un cancer comme le pauvre Poul Anderson. Je suis affreusement désolé pour lui. J'ai une extrême admiration pour Poul . C'était un homme très bien. Un de mes meilleurs amis , vraiment, Poul.

Cela fait longtemps que vous imaginez l'avenir. Où pensez-vous que l'humanité se dirige?
Vance : Ne me posez pas ces questions. Vous vous attendez à ce que je sorte des remarques pleines de sagesse, qui vont étonner tout le monde, et on dira " Ce Jack Vance, il sait. C'est un vrai philosophe." Manifestement, je n'en sais pas plus sur l'avenir que tout un chacun.

Quels sont vos centres d'intérêt quand vous n'écrivez pas ?
Vance : L’un d'entre eux est la cosmologie. Des choses comme la mécanique quantique. La physique astronomique, qui est de la cosmologie, essentiellement. Je lis un bon livre, en ce moment, écrit par un type qui s'appelle Martin Rees, le titre est Before the Beginning [Avant Le Commencement]. Je ne vous ennuierai pas avec mes théories, mais je reste plutôt sceptique sur certaines idées. J'aime discuter de ces idées et argumenter avec des astrophysiciens.

Oh, un de mes grands intérêts dans la vie —en fait, je me considère plus comme un musicien qu’un écrivain, la moitié du temps — c'est la musique de jazz . Le jazz d’origine, pas le prétendu nouveau jazz , que je ne considère pas du tout comme du jazz. C'est juste du bruit abstrait. Mais le jazz original, le jazz de la Nouvelle Orléans, continue aujourd'hui. Ce n'est pas de la musique populaire, mais c'est de la grande musique. Je jouais autrefois du cornet et aussi du banjo, mais quand ma vue m’a lâché, j'ai raccroché.

Etiez-vous un bon interprète ?

Vance : Mon meilleur instrument était l'harmonica [rires]. Non, je ne peux pas dire que j'étais un bon interprète. Mes doigts ont toujours été sacrément trop épais. Mais j'ai joué dans des orchestres de temps en temps. Personne n'a essayé de me contacter quand ils avaient besoin de quelqu'un pour jouer, uniquement en dernier ressort. Mais j'ai aimé ça passionnément.

Quel conseil donneriez-vous à de nouveaux auteurs débutants et qui cherchent à être publiés ?
Vance : Uniquement l'évidence : simplement travailler. C'est la clef. Et de ne pas essayer d'écrire dans un style trop flamboyant. Autrement dit, n’essayez pas d'être ultra-spectaculaire. Essayez de faire un travail solide, ne pas gonfler le texte avec des tas d'adjectifs et d'adverbes. Le principal est d'avoir une bonne histoire, un bon scénario. Ayez de bons personnages et n'essayez pas de frapper le gong tout le temps. Restreignez vous un peu dans votre écriture.

http://www.scifi.com/sfw/issue266/interview.html
© tous droits réservés
Traduction de Patrick Dusoulier (avec tous mes remerciements)

"The Mystery of the Centre of the Earth" de Roy Rockwood
http://digital.library.upenn.edu/webbin/gutbook/lookup?num=4994


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