LYONESSE, la premiére page  


Le Jardin de Suldrun

Ed.Underwood-Miller 1983Par un triste jour d'hiver, où la pluie tombait à verse sur la ville de Lyonesse, la reine Sollace ressentit les premières douleurs de l'enfantement. Elle fut conduite à la salle de travail et prise en charge par deux sages-femmes, quatre servantes, le médecin Balhamel et la vieille toute ridée nommée Dyldra, qui possédait une grande science des herbes et que d'aucuns tenaient pour sorcière. Dyldra était là par la volonté de la reine Sollace, qui trouvait plus de réconfort dans la foi que dans la logique.
Le roi Casmir fit son apparition. Les soupirs plaintifs de Sollace devinrent des gémissements et elle planta ses doigts crispés dans son épaisse chevelure blonde. Casmir regardait depuis l'autre bout de la pièce. II portait un simple bliaud écarlate avec une large ceinture violette; une couronne d'or ceignait ses cheveux blond roux. II s'adressa à Balhamel.
" Quels sont les signes?
- Sire, il n'y en a pas encore. .
- II n'existe pas de moyen de deviner le sexe?
- A ma connaissance, aucun. "
Campé dans l'embrasure de la porte, les jambes quelque peu écartées, les mains derrière le dos, Casmir semblait l'incarnation même de la sévère majesté royale. Et, en vérité, c'était une attitude dont il ne se départait jamais, de sorte que les filles de cuisine, étouffant petits rires et gloussements, se demandaient souvent si Casmir gardait sa couronne même sur la couche nuptiale. II examina Sollace de dessous ses sourcils froncés.
" On dirait qu'elle souffre.
Sa souffrance, sire, n'est pas aussi grande qu'elle pourrait l'être. Pas encore, du moins. Rappelez-vous, la peur augmente la douleur réellement ressentie."

 

La Perle Verte

Editon Underwood-MillerPeu après la mort d'Hippolito dont il était l'élève, Visbhume sollicita un poste similaire d'apprenti auprès du sorcier Tamurello mais essuya un refus. Il offrit alors de vendre un coffre contenant des objets qu'il avait emportés de chez Hippolito. Tamurello y jeta un coup d'oeil et ce qu'il vit éveilla suffisamment son intérêt pour qu'il paie le prix de Visbhume.
Entre autres, le coffre renfermait des fragments de vieux manuscrit. Le hasard ayant propagé la nouvelle de la transaction jusqu'aux oreilles de la sorcière Desmëi, celle-ci voulut savoir si ces fragments ne compléteraient pas les lacunes d'un texte qu'elle essayait de reconstituer depuis longtemps. Elle se rendit aussitôt à Faroli, le manoir qu'habitait Tamurello dans la Forêt de Tantrevalles, et demanda l'autorisation d'examiner les morceaux en question.
Avec une parfaite courtoisie, Tamurello les présenta.
" S'agit-il bien des parties manquantes?"
Desmëi les parcourut du regard. " Oui, effectivement.
- Dans ce cas, le lot est maintenant à vous, déclara Tamurello. Faites-moi l'honneur de les accepter.
- Avec la plus profonde reconnaissance ", répliqua Desmëi.
Tandis qu'elle rangeait les morceaux de manuscrit dans un portefeuille, elle observa Tamurello à la dérobée. Elle commenta: " C'est assez bizarre que nous ne nous soyons encore jamais rencontrés.
Tamurello acquiesça en souriant. " L'univers est vaste. Nous sommes perpétuellement confrontés à des expériences nouvelles, en général pour notre plaisir. " Il inclina la tête à l'adresse de sa visiteuse dans un geste d'une indéniable galanterie.
" Joliment dit, Tamurello! reprit Desmëi. En vérité, vous êtes on ne peut plus aimable.
- Seulement quand les circonstances le justifient. Voulez-vous un rafraichissement? Voici du vin doux extrait du raisin d'Alhadra."
Pendant un moment, les deux discutèrent d'eux-mêmes et de leurs idées. Jugeant Tamurello stimulant et plein de vitalité, Desmëi décida de le prendre pour amant.
Tamurello, qui était amateur de nouveauté, n'y vit pas d'objection et déploya autant d'ardeur qu'elle-même, de sorte que tout alla bien le temps d'une saison. Cependant, Tamurello finit par trouver que Desmëi manquait à la fois de grâce et de légèreté et ce à un point accablant. II se rait à souffler le chaud et le froid, au grand chagrin de Desmëi. Elle se complut d'abord à interpréter ce déclin de passion comme un jeu amoureux : une espièglerie, pour ainsi dire, d'amant trop choyé. Elle se jeta à sa, tête, usant tour à tour de tous les artifices de la coquetterie.
Tamurello devint encore plus indifférent. Desmëi passa de longues heures assise près de lui à analyser leurs relations dans chacune de leurs phases tandis que Tamurello buvait du vin et laissait d'un air morose son regard se perdre dans le feuillage des arbres.
Ni soupirs ni sentiment n'avaient de prise sur Tamurello, Desmëi le découvrit. Elle apprit qu'il était également cuirassé contre les cajoleries, cependant que les reproches avaient apparemment pour seul effet de l'ennuyer. En dernier ressort, sur le ton de la plaisanterie, Desmëi évoqua un ancien amant qui lui avait causé de la peine et, sans avoir l'air d'insister, cita les malheurs qui s'étaient ensuite acharnés sur lui. Elle constata qu'elle avait enfin attiré son attention et aborda des sujets plus réjouissants.
Tamurello se laissa guider par la prudence et, de nouveau, Desmëi n'eut plus à se plaindre.
Après un mois mouvementé, Tamurello se sentit dans l'incapacité de poursuivre ses démonstrations de zèle forcé.

 

Madouc

Au sud de la Cornouailles, au nord de l'Ibérie, de l'autre côté du Golfe d'Aquitaine, se trouvaient les Isles Anciennes, qui allaient du Croc de Gwyg, arête de roche noire battue par les déferlantes de l'Atlantique, à Hybras, le Hy-Brasill des premiers chroniqueurs irlandais : une île aussi grande que l'Irlande elle-même.
Hybras avait trois villes éminentes : Avallon, Lyonesse et l'antique Ys (1), de même que de nombreuses villes fortifiées, de vieux villages gris, des châteaux aux maintes tours et des manoirs posés sur de charmants jardins.
Le paysage d'Hybras était varié. Le Teach tac Teach, une chaîne lacérée de pics et de hautes landes, longeait le rivage de l'Atlantique. Ailleurs, le paysage était plus doux, perspectives sur des collines ensoleillées, des tertres boisés, des prairies et des cours d'eau. Un bois sauvage couvrait tout le centre d'Hybras : c'était la Forêt de Tantrevalles, mythe d'un millier de fables, où l'on s'aventurait rarement par crainte des enchantements. Ceux qui s'y risquaient, bûcherons et autres, avançaient d'un pas prudent, s'arrêtant fréquemment pour tendre l'oreille. Le silence étouffant, interrompu parfois par le doux appel d'un oiseau lointain, n'avait rien de rassurant en soi et l'on ne tardait pas à s'arrêter encore pour tendre l'oreille.
Dans les profondeurs de la forêt, les couleurs se faisaient plus chaudes et plus intenses; les ombres étaient teintées d'indigo ou de marron ; et qui sait ce qui pouvait vous observer par-delà la clairière, perché là-bas sur une souche?

(1) - Aux premiers âges, un isthme relia brièvement les Isles Anciennes à l'Ancienne Europe. Suivant les mythes, les premiers Chasseurs nomades qui arrivèrent sur Hybras, une fois traversé le Teach tac Teach et contemplé la laisse de haute mer de l'Atlantique, découvrirent la ville d'Ys qui existait déjà.


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