couverture du roman chez Underwood-Miller

LES CHRONIQUES DE DURDANE
la premiére page

L'HOMME SANS VISAGE

Mur avait neuf ans quand il entendit dans le cottage d'accueil de sa mère un visiteur jurer jovialement " par l'Homme Sans Visage ". Plus tard, après son départ, Mur posa une question à sa mère : " Este que l'Homme Sans Visage existe vraiment?
- Oui certes, il existe n, répondit Eathre.
Mur réfléchit quelques instants, puis demanda
" Comment fait-il pour manger, pour sentir, pour parler?" De sa voix sereine, Eathre répondit : " Il a sûrement trouvé un moyen de se débrouiller."
- "Ce doit être intéressant à regarder," dit Mur.
- "Sans aucun doute."
 - "L'as-tu déjà vu? " Eathre secoua la tête. " L'Homme Sans Visage n'intervient jamais contre les Chilites, aussi n'as-tu pas à t'inquiéter. " Et elle compléta rêveusement : " Pour le meilleur ou pour le pire,c'est ainsi. "
Mur, un enfant mince à l'air grave, fronça les sourcils noirs hérités de l'inconnu qui était son père par le sang. " Pourquoi serait-ce meilleur? Ou pire?"
- " Que tu es agaçant ! " constata Eathre sans colère. Ses lèvres se plissèrent : peut-être sous l'effet du chsein1. Mais elle ajouta : " Quand une personne enfreint la loi chilite, ce sont les Ecclésiarques qui la punissent. Si elle s'enfuit l'Homme Sans Visage lui fait sauter la tête. " Elle porta la main à son torque, habitude commune à tous les habitants du Shant.
" Si tu respectes la loi chilite, tu n'auras jamais à craindre d'être décapité. Voilà pour le "meilleur". Toutefois dans ce cas tu es un Chilite et voilà pour le "pire". "

1. Chsein : a) réflexe conditionné de recul devant une pensée défendue: b) aveuglement ou indifférence à l'égard de situations inhabituelles, prohibées ou échappant aux normes.

LES PALADINS DE LA LIBERTE

 Dans une chambre nichée sous les combles , tout en haut de l'Auberge de Fontenay, Etzwane remua sur son lit. II n'avait beaucoup dormi. Peu après, il se leva et alla à la fenêtre, où le étoiles avaient pâli sur le fond d'aube violette. Les pentes lointaines de l'Ushkadel n'offraient que çà et là l'éclat vert d'un réverbère; les palais des Esthètes étaient éteints.
Dans un de ces palais, songea Etzwane, l'Homme Sans Visage n'avait pas mieux dormi que lui.
II quitta la fenêtre et se dirigea vers la table de toilette. Une glace étamée au noir de fumée lui renvoya son image, un visa,, altéré tant par la clarté indécise de l'aube que par le for, ombreux du miroir. Etzwane le scruta de près. Ce personnel, irréel, un peu menaçant, pouvait fort bien être lui : le visage l'expression sardonique, bouche tombante et joues creuses; I peau olivâtre avec un reflet plombé; les yeux, des trous noir ponctués par deux reflets scintillants. Il pensa : voici Gastel Etzwane, d'abord Pur Enfant Chilite, puis Vert foncé-Azur Noir-Rose, à présent un homme au pouvoir énorme. II s'adressa à  l'image : " Aujourd'hui vont se produire des événements importants; Gastel Etzwane ne doit pas se laisser tuer. " L'image ne lui renvoya pas d'encouragement.
II s'habilla et descendit dans la rue. A une guinguette au bord du fleuve, il mangea du poisson frit avec du pain et examina le perspectives de la journée.
En substance, la tâche était simple. II devait aller au Palais Sershan et là contraindre Sajarano, l'Anome de Shant, à exécuter ses ordres. Si Sajarano s'y refusait, Etzwane n'avait qu'à appuyer sur un bouton pour lui faire sauter la tête car à présent Sajarano portait un torque  et Etzwane n'en portait pas. C'était d'une parfaite et brutale simplicité - à moins que Sajarano ne devine son isolement, son manque d'allié ou de complice, auquel cas la situation d'Etzwane deviendrait précaire.

ASUTRA

 Les Roguskhoïs et leurs dominants, les asutras, avaient été chassés du Shant. Assaillis constamment au sol par les Vaillants Hommes Libres, harcelés d'en haut par les Pilotes de Shant, les Roguskhoïs avaient battu en retraite dans la direction du sud, traversant le Grand Marécage pour entrer su Palasedra. La horde avait été détruite dans une vallée sinistre, une poignée seulement de ses chefs s'étaient enfuis à bord d'un remarquable vaisseau spatial mordoré - et ainsi avait pris fin l'étrange invasion du Shant.
La victoire avait rempli de joie Gastel Etzwane pendant un temps bref, après quoi il s'était replié sur lui-même dans un accès d'introspection austère. Il prenait conscience d'une intense aversion pour les responsabilités, pour la fonction publique en général; il s'étonnait d'avoir rempli son poste aussi bien et aussi longtemps. A son retour à Garwiy, il démissionna de la Chambre Pourpre avec une précipitation presque offensante; il devint Gastel Etzwane le musicien : cela et pas plus. Aussitôt son entrain revint, il se sentit libre et dispos. Cet état d'esprit dura deux jours puis s'altéra parce que la question Et maintenant? ne suscitait aucune réaction naturelle ou simple.
Par une brumeuse matinée d'automne, où les trois soleils paressaient derrière les disques de nimbus blancs comme le lait, roses et bleus qui s'étaient formés automatiquement, Etzwane arpentait l'Avenue Galias. Les rubaniers laissaient pendre leurs lanières pourpres et grises autour de sa tête; à côté de lui, la rivière Jardine coulait à la rencontre de la Sualle. D'autres personnes déambulaient sur l'Avenue Galias, mais aucune ne prêtait attention à l'homme qui si récemment avait gouverné leur vie.

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