Norma, l'épouse de Jack Vance (1998)Voici une biographie de Jack écrite par son épouse Norma. Elle couvre plutôt la période de l’enfance de Jack, en évoquant ses parents et grands-parents. Norma a écrit une autre biographie, que nous publierons bientôt ici, et qui cette fois évoque Jack dans sa période adolescente et adulte…
Ces deux articles ont été publiés dans Cosmopolis, respectivement dans les numéros 40 et 41. Pour lire les numéros de Cosmopolis, revue publiée par le Projet V.I.E.,
http://www.vanceintegral.com et cliquer sur « Cosmopolis »… C’est tout simple, à condition de comprendre l'anglais !

P. Dusoulier


Une Biographie de Jack Vance
par Norma Vance

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J’ai écrit l’an dernier, pour la Norwescon*,  une biographie de Jack Vance basée sur des événements que j’ai vécu moi-même, et d’autres glanés au cours de conversations avec Jack, au sujet de sa vie avant notre mariage. Certains épisodes peuvent être considérés comme des escapades amusantes. C’était tout à fait drôle, mais je n’ai pas envie de me répéter. J’ai donc décidé de replacer Jack dans le contexte de ses parents et grands-parents. J’espère que ce ne sera pas trop ennuyeux.

Le grand-père maternel de Jack, L.M. Hoefler, était un avocat connu, qui représentait les brasseries de San Francisco, entre autres. Il était membre de l'Olympic Club et du Bohemian Club. Au cours d'un voyage en Italie, il avait expédié deux statues d’athlètes, en marbre, à l’Olympic Club. A ce jour, elles sont encore de part et d’autre de l’entrée du Club, dans Post Street. Il comptait parmi ses amis d’autres avocats, des juges, des maires, des politiciens, des gens d’Hollywood, des hommes d’affaires prospères, et aussi des gens ordinaires, des ouvriers, aussi bien que des notables. Apparemment, tout le monde le connaissait, de vue sinon personnellement.

L.M. Hoefler habitait dans Haight Street, sur une colline assez pentue, qui était desservie par un trolleybus. Normalement, le trolley s’arrêtait uniquement aux intersections. Jack se souvient que chaque fois que son grand-père se tenait au bord du trottoir et lui faisait signe, le conducteur s’arrêtait pour qu’il puisse monter; même système partout où il voulait descendre. Le frère de Jack, David, se souvient que lorsqu’il avait tout juste dix ans, L.M. lui demandait de conduire. Une fois, probablement parce qu’il voulait éviter un bouchon, il demanda à David de conduire à gauche. David protesta : ils risquaient d’être emboutis par une voiture venant dans l’autre sens, mais son grand-père refusa de l’écouter, et David fut obligé de faire comme il lui disait. Bien qu’il eût beaucoup d’amis, et qu’il fût un homme bon et généreux, L.M. Hoefler n’avait aucune idée de la façon de se comporter avec les enfants ; il n’attendait d’eux qu’une chose : l’obéissance. Jack se souvient d’avoir été taquiné par son grand-père qui l’appelait « binoclard »*, sans se soucier de la gêne de Jack. En ce temps-là, c’était un surnom assez fréquent, utilisé par les enfants à l’encontre de ceux qui avaient besoin de lunettes. Je ne pense pas que L.M. cherchait à être méchant… mais Jack ne l’a jamais oublié.

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J’ai l’impression d’être allée un peu trop en avant dans l’histoire, je reviens donc en arrière. Ludwig Mathias Hoefler avait épousé Emma Madeline Altemus. La mère de Jack, Edith, fut leur seul enfant. « Edy », comme nous l’appelions tous, bénéficiait de beaucoup d’avantages, et c’est tout à son honneur qu’elle ne fut jamais égoïste. Elle était d’un caractère agréable, intelligente, et très populaire auprès de tous. Elle reçut son instruction à l’école de Miss Sarah Hamlin, où elle fit d’excellentes études, en particulier en Histoire. Sa mémoire des dates importantes était phénoménale. Un autre de ses talents était de pouvoir jouer du piano à l’oreille. Un talent très apprécié bien des années plus tard, après l’emménagement à Oakland, quand elle jouait pour des bals champêtres et qu’il n’y avait pas beaucoup de partitions disponibles.

Edy avait 16 ans quand il y eut le tremblement de terre* et l’incendie de San Francisco. Le tremblement de terre fut dévastateur, mais l’incendie encore plus. La maison de son père fut tellement endommagée qu’il fallut construire une petite baraque sur un côté de la rue, devant la maison, pour pouvoir y faire la cuisine. Quelqu’un a pris une photo d’Edy, sa mère et sa grand-mère devant la baraque-un souvenir précieux aujourd’hui.


 La mère de Jack, Edy ; son arrière-grand-mère, Mary Elizabeth; et sa grand-mère, Emma..
Photo fournie par David Vance

Regardons maintenant du côté paternel des ascendants de Jack: la famille Vance était propriétaire de plusieurs magasins de meubles-à San Francisco, Benecia, Stockton, Sacramento, d’autres villes encore, peut-être. Charles Albert Vance, le père de Jack, était né à Benecia. Edy et Charles Albert se rencontrèrent sans doute dans une réception, ou une occasion similaire. Les Hoeflers comme les Vance étaient des membres bien établis de la société de San Francisco, et les deux jeunes gens méritaient l’attention de la communauté. Ce ne fut une surprise pour personne quand on annonça les fiançailles, et qu’une date fut fixée pour le mariage. La noce fut un grand événement. Des cadeaux magnifiques et extravagants arrivèrent, ainsi que d’autres un peu plus terre-à-terre. John Vance, le grand-père de Jack et le père de Charles Albert, donna aux jeunes mariés un grand terrain dans Filbert Street, qui est encore à ce jour un des plus beaux quartiers de San Francisco. Il fit aussi construire une grande maison avec un étage. On pouvait penser que le couple n’avait plus qu’à vivre une longue vie de bonheur. Au moins, elle fut fructueuse: ils eurent cinq enfants dans les dix premières années, ou peut-être un peu plus longtemps.

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Après le vote de la loi de Prohibition, les brasseries de San Francisco durent fermer, et ne rouvrirent jamais, ou si elles rouvrirent, ce ne fut que bien plus tard, et leur production était alors  devenue plutôt des boissons non alcoolisées. L.M. Hoefler perdit ainsi sa plus grande source de revenus; néanmoins, il avait d’autres clients et des investissements. Il ne courait aucun risque d’être ruiné à ce stade. Mais à l’horizon pointait la Grande Dépression.

La “Société Mondaine” n’a jamais impressionné Jack. L’intelligence, l’énergie, le courage et la maîtrise de compétences spécialisées, voilà ce qui lui plait. Le Jazz New Orleans est un bon exemple d’une telle compétence spécialisée: des maîtres talentueux d’instruments particuliers, capables de jouer de la musique en groupe, souvent sans que la musique soit écrite. Chaque musicien doit être attentif au jeu de chaque autre musicien qui joue dans le groupe. Jack aime aussi beaucoup les conversations animées entre amis, à propos de tout et n’importe quoi, une sorte de compétition intellectuelle dérivant de connaissances scientifiques dans les domaines les plus variés. Il est reconnaissant aux magazines et livres enregistrés (sur cassettes audio) qui lui permettent de se tenir au courant d’une grande variété de sujets. L’humour et les amis sont des éléments essentiels de l’idée que se fait Jack d’une vie heureuse.

Jack ne garde aucun souvenir affectueux de son père: l’image qu’il en garde est celle d’un homme égoïste, négligent et autoritaire, qu’il valait mieux éviter le plus possible. Charles Albert était propriétaire d’un ranch de 12000 hectares dans une région magnifique du Mexique, près de la ville de Tepic. Lors de ses visites périodiques au ranch, il emmenait son deuxième fils, Louie, pour lui tenir compagnie. Finalement, la propriété fut nationalisée, ce qui fut certainement un coup terrible pour Charles Albert.

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La grande Dépression tenait les Etats-Unis dans un étau bien serré. Le grand-père de Jack, L.M. Hoefler, réalisa enfin qu’il fallait faire quelque chose pour économiser. Il connaissait un homme aux moyens considérables, qui envisageait de transplanter, ou de créer, une activité commerciale à San Francisco, et qui recherchait une demeure convenable. L.M. avait réfléchi aux moyens de réduire ses dépenses, et s’était également dit que la région du Delta de Sacramento serait un environnement sain pour Edy et ses enfants. Il se réjouissait lui-même à l’idée d’une maison de week-end à la campagne. Il explora la région et trouva un petit ranch du côté d’Oakley. Il y avait une maison suffisamment spacieuse, et qui, moyennant très peu d’efforts, serait parfaite pour toute la famille. Il en parla à Edy et à son gendre, en expliquant que la location de leur maison de Filbert Street paierait non seulement la location à Oakley, mais aussi leurs autres dépenses. Edy ne fit pas d’objection et ainsi le déménagement se fit. Les cinq enfants et la nounou, Allie, vécurent là, et même Charles Albert quand il n’était pas au Mexique

Dans l’esprit de Jack, ce transfert à la campagne fut pour lui, à l’époque, le plus grand événement de son existence. C’était une vie pratiquement parfaite. Les cinq enfants allaient à la Iron House School, dans une classe unique. L’école et le ranch étaient situés à 800 mètres à peu près du bord d’un marais,  le ranch étant quelque 800 mètres plus loin à l’est, pas loin d’une laiterie. Jack absorbait tout ce qui était à sa portée, les bruits et les odeurs. Il s’est souvenu de tout cela quand il a écrit ses livres. Cette expérience a été une ressource parfaite pour écrire de la prose descriptive: sur les endroits, les humeurs et les sensations. Sa chambre avait une grande fenêtre grillagée juste à côté de son lit. La vue donnait sur des collines, des vergers, des eucalyptus, des pins de toutes sortes, des buissons, des fleurs et des herbes, dans un terrain de couleur gris-brun. En toile de fond, le majestueux Mont Diablo, un ancien volcan aujourd’hui éteint (du moins, on l’espère). Jack avait trouvé le paysage si enchanteur qu’il l’avait peint sur un panneau en plâtre, pour qu’il puisse le voir même quand le ciel était couvert. Le panneau a été perdu lorsque tout le monde est parti pour aller ailleurs faire des études supérieures, ou pour trouver du travail.  

Norma Vance, Juillet 2003, avec l'autorisation de l'auteur
(Traduit de l’anglais par Patrick Dusoulier)

* Norwescon : un des plus grands rassemblements annuels (« convention », en américain, d’où l’abrégé « con » qui peut faire sourire…) de fans de Science-Fiction aux Etats-Unis. Il a lieu dans le Nord-West, d’où le « Norwes » initial ! On y parle non seulement de littérature de SF, mais on s’y amuse beaucoup aussi à se déguiser, à danser. On peut acheter et vendre des livres, des magazines, des dessins des peintures de SF, et bien sûr, y rencontrer des écrivains de SF, comme Jack, qui était Invité d’Honneur cette année-là. (Note du Traducteur)
La Norwescon 25 a eu lieu du 28 au 31 mars 2002 à l'hotel Doubletree, Aéroport de Seattle.

* En fait Norma dit « four eyes »=  « quatre’z-yeux » en américain ce que l'on peut traduire en français par "binoclard" (NDT).

* Un autre événement mémorable dans la vie d’Edy fut l’attaque de Pearl Harbor, le 7 Décembre 1941.  C’était le jour de son anniversaire.


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