Norma, l'épouse de Jack Vance (1998)Cet article est paru, en anglais, dans le numéro 41 de Cosmopolis, la revue éditée par le Projet VIE. Norma l’a écrit à l’occasion de la Norwescon, et elle y fait allusion dans son autre article déjà traduit sous le titre « Une Biographie de Jack ». J’ai traduit cet article avec l’autorisation de l’auteur. Je remercie Norma de nous avoir fait partager quelques-uns de ses souvenirs, et de nous faire découvrir Jack sous un jour inattendu… .
Patrick Dusoulier

 


Une autre façon de voir Jack Vance
par Norma Vance

La plupart d’entre vous, qui êtes en train de lire ces lignes, ont dû déjà lire au moins une biographie de Jack, ou sinon, vous en connaissez les écrits. Comme je suis sa femme, j’ai des informations particulières, et plutôt que d’énumérer ses succès littéraires, j’ai décidé de parler d’une personne que vous ne connaissez peut-être pas très bien, mais que vous apprécierez de connaître mieux, du moins je l’espère.

Ma première impression de Jack a été qu’il était… différent. Assurément, il était audacieux: se présenter sur le seuil de la maison d’une jeune fille, avec un sachet de beignets, et lui demander si elle voulait bien lui faire du café? Les 56 années qui se sont écoulées depuis n’ont pas changé mon opinion. Il est encore audacieux, mais sa qualité la plus remarquable est la persévérance ; d’une certaine façon, les deux qualités semblent aller de pair. La persévérance est ce qui permet de faire des choses comme de remuer des tonnes et des tonnes de terre pour déblayer un terrain et y construire une maison, ou d’écrire des livres, beaucoup de livres.
La petite maison rustique que nous avions achetée à Oakland, avec son terrain autour, n’était pas idéale, mais elle était bon marché, et les trois parcelles de collines fournissaient suffisamment d’espace à nos cinq chats pour partir à l’aventure. Toutefois, le terrain lui-même était un sacré défi, ne laissant que peu de place pour y construire quelque chose. Muni d’une pioche, d’une pelle, d’une brouette, et avec beaucoup de travail, Jack en fit un terrain constructible. Mur après mur, la cabane rustique disparut, pour devenir, par étapes économiquement supportables, un endroit vraiment confortable. Et pendant tout ce temps, Jack arrivait à écrire. Ceci aurait été impossible sans son énergie (ou sa persévérance).


Jack déblayant le terrain pour la maison, début des années 70.

Tandis que les contours de notre propriété se modifiaient, il y avait une préoccupation générale concernant une éventuelle guerre atomique. Qu’est-ce que fit Jack? Il était déjà en train de déplacer des tonnes de terre, donc il creusa un tunnel dans le flanc de la colline: quelques mètres, puis un coude à gauche sur un ou deux mètres, et un coude à droite, et encore un coude à gauche, pour terminer par une salle de deux mètres cinquante de côté. Il consolida les parois et la voûte avec de gros madriers, installa une petite cheminée pour le confort et la lumière, avec de quoi évacuer la fumée. Avant de recouvrir le haut de l’excavation avec de la terre, il étala de lourdes bâches de plastique noir. Avec des lanternes et des bougies, l’endroit commença à avoir l’air habitable.
Un jour, alors que le bruit et l’agitation dans la maison rendaient la concentration difficile, Jack se retira dans l’abri. Il y emporta une bouteille thermos avec du café chaud, une chaise pliante en toile, un coussin pour y poser son porte-bloc. Il alluma un feu dans la cheminée, et se mit au travail. Enfin la paix!
Mais, comme le hasard ou la nature en décida, la pluie se mit à tomber. Peu de temps après, un filet d’eau pénétra jusqu’au plastique, puis en dessous, et finalement dans l’abri. Plic-ploc, plic-ploc! Sur la tête et les épaules de Jack, sur son porte-bloc et ses papiers. Assez! L’abri anti-atomique fut un échec, mais pas complètement. La cheminée fut un bon exutoire pour qu’un jeune enfant de sexe masculin puisse y satisfaire ses pulsions pyromanes en toute sécurité.

Un autre projet au succès plus éclatant fut la cabane dans l’arbre. Nous avions beaucoup de grands eucalyptus, et notre fils John, comme beaucoup de petits garçons, rêvait d’avoir une cabane dans un arbre. Jack choisit un vieil arbre énorme qui avait, à cinq mètres de hauteur à peu près, des branches capables de supporter une plate-forme. Il installa une échelle, puis une plate-forme faite de deux planches de contreplaqué, de 12O sur 24O centimètres, et d’une épaisseur de 2 centimètres. Les murs étaient aussi en contreplaqué, avec deux fenêtres et une porte. Il y avait un petit porche sur le devant, avec un accès par un trou percé dans la plate-forme.

 
Jack et la cabane dans l’arbre, 1973.

John et ses camarades purent profiter de la cabane pendant suffisamment d’années, de sorte que quand une terrible tempête l’emporta, avec toutes les branches qui la soutenaient, ce ne fut pas une tragédie…juste un peu de tristesse.

L’art culinaire est un des sujets d’intérêt les plus durables chez Jack. Il aime lire des recettes, lire le détail de banquets mémorables comme ceux des Epicuriens, concocter ses propres recettes et festins, faire la cuisine, noter les endroits où on mange bien et les chefs qui savent rendre divins les ingrédients les plus simples. Bien sûr, il y a un revers de la médaille à cet intérêt, et il s’appelle « régime »… Notre fils a de la chance, il a l’air immunisé. Il est arrivé à Jack de faire un détour pour se rendre à un endroit appelé « La Pyramide », à Vienne*, où le repas fut tellement mémorable que je suis sûre qu’il ne fut jamais égalé. Ce qui est remarquable, c’est que nous nous sommes arrêtés dans ce restaurant un dimanche de Pâques, sans avoir réservé. Madame Point, qui se tenait sur le seuil pour recevoir les clients, ou pour les renvoyer, nous accueillit bien plus chaleureusement que nous ne le méritions ; avec une gentillesse incarnée, elle demanda à un garçon de nous installer, et c’est ainsi que commença le repas le plus mémorable que nous ayons jamais eu, ou pouvons espérer avoir, de toute notre vie. Nous avons eu aussi l’occasion de goûter la cuisine de M. Pic et de Paul Bocuse, qui sont très hautement appréciés, mais c’est La Pyramide que nous plaçons par-dessus tout.

Quand John eut à peu près six mois, je retournai travailler. Jack fit beaucoup la cuisine pendant plusieurs années ; une de ses activités préférées était de faire de magnifiques, de délicieux petits déjeuners pour John. Certains étaient tellement appétissants qu’il en prit des photos. Je pense que c’était sans doute pour se rappeler quel plaisir c’était de nourrir son fils, et en même temps de s’adonner à sa passion pour la cuisine.

 
Jack et  John, vers 1964.

Les bateaux. Ils représentent pour Jack ses rêves de voyage et d’aventure. Les bateaux ont toujours été au premier plan des pensées de Jack ; il faisait toujours des plans pour construire son favori, il cherchait toujours le bateau le plus sûr, celui qui puisse le mieux tenir la mer. Une fois il acheta des plans pour construire un trimaran, un Piver de 36 pieds. Il alla même jusqu’à terminer et recouvrir de fibre de verre les trois coques. C’est à ce moment que Mr. Piver disparut en mer, pendant un cabotage dans le sud avec son trimaran. On ne retrouva jamais son corps. Ceci refroidit plutôt l’enthousiasme de Jack en ce qui concerne les trimarans. Il vendit les trois coques et reprit ses recherches.
Nous achetâmes un Venture de 17 pieds, avec un gréement de cotre, pour que notre fils apprenne à faire de la voile et puisse faire partie de l’équipage de Jack ; ensuite un Explorer de 45 pieds, conçu par Huntingford, parce que le Columbia n’était pas assez grand pour pouvoir loger un équipage de trois ou quatre personnes. Nous vendîmes les deux premiers bateaux, et l’Explorer fut baptisé Hinano*.
Une des périodes les plus heureuses de la vie de Jack se passa en compagnie de John, à gréer Hinano, à installer toutes sortes de systèmes pour renforcer la coque, un radar, des lumières de position, la radio, un filet de sécurité et des rambardes, à choisir des voiles, acheter des cartes maritimes et à calculer des itinéraires. Mais en même temps, le glaucome était en train d’affecter la vue de Jack, et John devait commencer ses études à l’Université de Berkeley. Tout ceci fut laissé de côté, même si Jack continua de rechercher un équipage et d’échafauder des plans.
Comme John était indisponible, ainsi que les autres personnes avec qui Jack aurait aimé faire une croisière, il dût se décider à vendre Hinano, à contre-cœur. En plus, la location pour le mouillage et l’entretien coûtaient vraiment trop cher pour que nous puissions garder indéfiniment un bateau de cette taille. Un millionnaire, peut-être, mais pas nous. Comme par hasard, un certain Jack Storer tomba amoureux de Hinano et fut ravi de l’acheter. Pour une croisière d’essai, Jack Storer invita deux amis à l’accompagner jusqu’à Monterey. A leur arrivée, ils ouvrirent des bouteilles pour fêter ça, et quand le stock fut épuisé, ses amis prirent congé. Mais Mr. Storer décida d’aller à terre pour acheter une autre bouteille. Malheureusement, il se prit le pied dans un câble d’amarrage et on le retrouva mort le lendemain matin. Je ne sais pas si la morale de ceci est qu’il ne faut pas tomber amoureux d’un bateau qui s’appelle Hinano, ou qu’il ne faut pas aller à Monterey, ou encore qu’il ne faut pas fêter une aventure… ou qu’il ne faut pas monter tout seul dans un dinghy. Ca donne à réfléchir, en tout cas. Nous fûmes atterrés, et très tristes de la mort de Jack Storer.

Il y a bien des années, lorsque John était encore un bébé, Jack avait dessiné les plans d’un houseboat, et les avait montrés à plusieurs amis, mais ceux-ci étaient trop prudents pour être intéressés. Pourtant, ses amis Frank Herbert et Poul Anderson étaient tous deux aventureux de nature ; ils acceptèrent avec enthousiasme de participer à la construction du houseboat. Ce fut une période heureuse. Jack construisit les pontons dans l’allée de notre garage, et les couvrit de fibre de verre là aussi. Finalement, ils furent prêts à être transportés sur la plage dans la baie près de Point Richmond. Plusieurs amis s’étaient maintenant joints à l’opération,  profitant du soleil, de l’air salin et de la compagnie. A chaque étape terminée, on célébrait ça, il y avait vraiment une atmosphère de fête.
Le pauvre Frank Herbert ne put rester dans la course, à cause de problèmes de santé. Par ailleurs, sa famille et lui envisageaient de déménager dans le Nord, ce qui impliquait qu’il devait rompre le partenariat. Finalement, il fut remplacé par notre ami guitariste, Albert Hall, qui avait régulièrement participé aux opérations. A la fin de la journée de travail, les chansons et les airs de guitare d’Albert faisaient notre bonheur. Quelquefois, nous allions dans notre restaurant favori, qui affichait du poisson au menu.
Une fois le pont et les bases fixées aux coques, l’étape suivante fut de mettre le tout à l’eau, là où la cabine était en construction. Un soir, les propriétaires du petit café qui vendait des hamburgers et autres sandwiches sur la jetée apportèrent une bouteille de champagne pour baptiser le houseboat, ce qui fut fait immédiatement… même si aucun nom particulier ne lui fut jamais donné : on l’appela Houseboat, tout simplement.


Houseboat avec Albert Hall, Jack et Poul Anderson, vers 1962.

On installa un moteur de hors-bord à la poupe, relié à la roue du gouvernail dans la cabine avant grâce à une invention de Jack : deux longues barres renforcées, à l’intérieur de tuyaux en aluminium. Le mécanisme fonctionnait remarquablement bien. (A propos : la roue de gouvernail était un cadeau de Frank Herbert). On peignit le bateau en blanc avec des bordures bleues à l’intérieur et à l’extérieur. On installa six matelas en mousse sur les couchettes, on accrocha des rideaux (que j’avais faits moi-même), on installa aussi des toilettes et un lavabo, et un réchaud ventru dans la cuisine-salle à manger. Vint alors le moment de déplacer le bateau dans les Marais du delta des rivières Sacramento-San Joaquim-Mokelumne. Jack fit le voyage inaugural avec six autres hommes et  jeunes garçons, en remontant la rivière Sacramento. Une escale de nuit dans le port de Dalrelio, un départ très matinal le jour suivant, et ils arrivèrent largement dans les temps au port de « Moore’s Riverboat », sur la rivière Mokelumne. C’est dans ce même amarrage que Houseboat connut son destin fatal quelques années plus tard, mais pas avant que nous ayons pu amasser toute une moisson de bons souvenirs.

Notre bateau était idéal pour la vie dans les Marais : vacances, fêtes et escales d’une nuit, généralement passées loin du port. Le houseboat glissait à la surface des marais, à la recherche d’un bon ancrage. En été, il y avait des mûriers chargés de baies toutes prêtes à être cueillies depuis le pont. Quand le soleil se couchait, nous nous relaxions sur le pont, les pieds contre le bastingage, chacun tenant en main sa boisson favorite, en écoutant le chant des insectes, animaux et cris d’oiseaux : un pur délice. Les matins étaient généralement froids, mais après avoir chargé et allumé le petit réchaud à bois, la cabine se réchauffait et devenait confortable.
Jack et moi projetions de faire un voyage en Irlande avec John, et pensions y rester un an ou plus. Il nous faudrait donc transférer la propriété du houseboat à notre ami Ali (pour « Alidor ») Szantho, dont la passion était la pêche, et il choisit comme autre partenaire quelqu’un qui aimait également pêcher. Ils trouvaient que l’embarcation était un peu trop basse sur l’eau pour la pêche, et ils retirèrent donc les lourds panneaux des plafonds. Le bateau se redressa d’au moins trente centimètres, peut-être plus encore. C’est peut-être cette petite modification qui a causé la perte du bateau, ou une quelconque mésaventure. Nous ne le saurons jamais.

J’ai mentionné l’audace et la persévérance de Jack, et j’aimerais maintenant parler d’un Jack plus jeune - celui d’avant Norma - pour apporter une preuve supplémentaire.

Quand il avait 18 ans, Jack vivait avec sa Tante Nellie (la sœur de son père) à San Francisco, juste à côté de la maison jumelle qui avait appartenu autrefois à sa mère. Ce privilège lui était accordé en échange de menus services qu’il rendait dans la maison. Comme pratiquement tout le monde, Jack était fasciné par la construction du pont qui devait relier Oakland à San Francisco, sur la Baie. Avant, il y avait seulement une flotte de ferries qui transportaient les voitures et passagers de San Francisco à Oakland, et vice-versa. La seule autre solution était d’aller jusqu’à San José, et traverser ensuite la ville d’ouest en est pour rejoindre l’autoroute 680, et remonter vers le nord jusqu’à Oakland.
Les pylônes en acier étaient déjà en place, ancrés à intervalles réguliers dans le fond de la baie, et se dressaient à une hauteur impressionnante ; je dirais au moins 60 mètres, peut-être même 90*.Les câbles commençaient aussi à être tendus entre les pylônes.  .
Un soir, Jack s’est rendu sur le chantier avec sa motocyclette. Il l’a attachée à un poteau, puis il a regardé autour de lui, et n’a vu ni entendu personne. Il y avait sans doute un panneau qui avertissait que le chantier était « Interdit Au Public », mais il ne l’a pas remarqué. Le travail sur ce pont se faisait jour et nuit ; ce serait donc très difficile de ne pas être repéré, puisque son projet était de grimper sur le câble jusqu’au sommet du premier pylône.
Au début, le câble était en pente douce, mais à mesure qu’il se rapprochait du pylône la pente devenait de plus en plus raide. Le câble faisait à peu près soixante centimètres de large, avec un filin de sécurité en acier de part et d’autre, pour s’accrocher. Rien que de m’imaginer dans une situation pareille me paralyserait tellement de peur que je ne serais même pas capable de me tenir à la corde, mais d’après Jack, il ne ressentait aucune angoisse. Il atteignit le pylône au bout de vingt minutes à peu près, et entendit presque aussitôt des voix en provenance du deuxième pylône. La seule chose qui retint Jack fut la pensée qu’il risquait d’être surpris là où il n’était pas censé se trouver…  C’est pourquoi il fit demi-tour sans hésiter et redescendit avec précaution jusqu’au sol. Pourquoi avait-il tenté cela ? Juste pour le frisson.

Sam Wainwright était étudiant à U.C. Berkeley quand Jack le rencontra pour la première fois, alors que Jack faisait un reportage pour le Daily Californian*. Le cerveau de Sam faisait des heures supplémentaires ! Sam était brillant, et en même temps un peu fou. Il essayait toujours quelque chose de nouveau, tout le temps à planifier et organiser. Tout le monde en avait entendu parler, parce qu’il défrayait souvent la chronique, mais il avait peu d’amis. Il était plus tourné en ridicule qu’apprécié. Jack sut voir au travers des excentricités de Sam, apprécia son esprit et devint son ami.   
Sam créa le Club des « Remueurs de Pouce »*. Jusque là, seules deux personnes avaient rejoint le club. Jack ne devint pas membre, mais il accompagna la première compétition,  pour écrire un article dans le Daily Cal. Le principe du jeu était de voir qui pourrait aller en auto-stop depuis le bas de University Avenue jusqu’à Salt Lake City, et revenir le premier à Berkeley. Il y avait quatre concurrents, donc Sam fit deux équipes, une menée par Sam et une par Jack. Tous les quatre portaient un T-shirt avec un pouce dessiné sur le devant.  
L’équipe de Jack fut la première à trouver un chauffeur. Celui-ci, en fait, les reconnut : « Oh, les gars ! Vous êtes les Remueurs de Pouce ! » En fin d’après-midi du premier jour, ils étaient arrivés à Reno. L’équipe de Sam était à Sparks, Nevada. Le lendemain matin, l’équipe de Sam réussit à monter avec un Indien (Américain) qui prétendait aller dans la direction de Salt Lake City, mais au bout de 80 kilomètres dans le désert, il leur dit au revoir et partit sur une petite route secondaire. Quel pétrin ! L’équipe de Jack réussit à aller jusqu’à Winnemucca, mais les deux équipes commençaient à ne plus trouver ça très drôle.
Jack avait entendu dire que la compagnie ferroviaire de Santa Fe était plutôt sympa avec les vagabonds, et les laissait monter sans faire d’histoires ; lui et son compagnon se dirigèrent donc vers la voie ferrée. Il n’y avait personne aux alentours, apparemment, et ils montèrent donc dans le fourgon de queue, s’y installèrent confortablement, et allumèrent même un feu dans le poêle. Ils commençaient à sommeiller quand le flic du chemin de fer entra dans le fourgon, en brandissant sa matraque et en criant
« Vous vous prenez pour qui ? Tirez-vous d’ici ! Tout de suite ! » (ce n’était pas un train de la compagnie de Santa Fe)
« Mais le train roule trop vite ! »
« Il ira encore plus vite tout à l’heure ! Vous m’avez entendu. Sautez ! »
« Gulp. Descendons maintenant, on s’en sortira peut-être sans trop de mal. »
« Allez, sautez ! Tout de suite ! »
Le train roulait à 25 ou 30 kilomètres à l’heure. Ils sautèrent et récoltèrent quelques bosses et égratignures, mais rien de grave.
L’équipe de Jack rejoignit finalement Berkeley le lendemain, et l’équipe de Sam arriva 36 heures plus tard, pas très contente.
Jack resta ami avec Sam pendant de nombreuses années, mais il finit par se fâcher avec lui, parce que malgré tous les conseils que Sam demandait à Jack sur divers problèmes, particulièrement pour des histoires de femmes, Sam n’était jamais fichu d’en tenir compte. Plus tard, quand Jack l’entendit au téléphone me demander conseil pour la même chose qu’avec Jack peu de temps auparavant, il perdit tout respect pour Sam et lui interdit désormais de nous appeler. Pauvre Sam ! Il avait un potentiel formidable, mais il était incapable de l’exploiter.

Jack avait beaucoup d’amis quand il était à l’Université, dont certains avaient le diable au corps. Il semble que concevoir des farces et des blagues permet de soulager certaines pressions liées au système éducatif. Jack, avec trois de ses amis, estima qu’il était faisable de hisser un drapeau communiste au sommet du Campanile, avec la méthode suivante : d’abord fixer une ficelle solide autour des quatre angles de la tour, puis attacher les deux extrémités, en laissant un peu de jeu. Ensuite, attacher à la ficelle, à chaque coin, 5 ballons gonflés à l’hélium. Puis attacher le drapeau à la ficelle, du côté visible par le plus grand nombre. Chacun des quatre farceurs tenait un bâton avec une ficelle et un crochet au bout, l’idée étant de placer le crochet sous la ficelle et de la secouer pour que les ballons montent progressivement, et qu’ainsi le drapeau arrive en haut. Ce qu’ils n’avaient pas prévu est qu’un vent très fort se mit à souffler, en même temps que les flics du campus passaient dans le coin, dans le cadre de leur tournée. Rien que le vent aurait suffi à gâcher la fête, mais quand les garçons virent les flics, ils se dispersèrent dans toutes les directions. Il y avait tellement de bruit et de confusion avec ce vent, que personne n’a jamais su qui étaient les coupables.

Voilà. Je pourrais en écrire bien davantage, mais là maintenant, je n’ai pas le temps…et ça vaut peut-être mieux comme ça.

 
Norma avec un des premiers manuscrits, vers 1953.

Norma Vance, Juillet 2003, avec l'autorisation de l'auteur
(Traduit de l’anglais par Patrick Dusoulier)

* Vienne, en France, bien sûr, pas en Autriche ! (NDT) Fernand Point qui dirigeait le restaurant à l'époque, est toujours considéré comme un des grands maîtres de la gastronomie française . Le restaurant d'André Pic dont parle Norma était à Valence sur la nationale 7. Bocuse a été apprenti chez Point.
* Hinano : une marque de bière tahitienne ( www.hinano.com ), dont l’étiquette représente une jeune vahiné… Jack y fait allusion dans plusieurs textes, particulièrement dans un de ses « policiers nautiques », dont le titre original est « Deadly Isles ». Cette petite remarque pour expliquer une réflexion de Norma sur la mort du pauvre Jack Storer, voir plus loin… (NDT)
* C’est juste une estimation, ils sont encore plus hauts. 227 métres exactement au dessus du tablier du pont .
* Le Daily Californian (« Daily Cal » pour les intimes…) était, et est toujours, le journal des étudiants de l’Université de Californie à Berkeley. Jack y a beaucoup collaboré, en particulier avec des chroniques de jazz, dans lesquelles on voit que « Vance pointait déjà sous Jack »… On y trouve déjà cette prose élégante, un vocabulaire ciselé, et cette forme d’humour typiquement Vancienne… Malheureusement, comme je l’ai indiqué par ailleurs, Jack ne souhaite pas que ces chroniques soient publiées.
* Thumbwagger’s Club (NDT)


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