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Cet article est paru, en anglais, dans le numéro
41 de Cosmopolis, la revue éditée par le Projet VIE. Norma l’a écrit
à l’occasion de la Norwescon, et elle y fait allusion dans son autre
article déjà traduit sous le titre « Une Biographie de Jack ». J’ai
traduit cet article avec l’autorisation de l’auteur. Je remercie
Norma de nous avoir fait partager quelques-uns de ses souvenirs,
et de nous faire découvrir Jack sous un jour inattendu… . Patrick Dusoulier
Une autre façon de voir Jack Vance par Norma Vance
La plupart d’entre vous, qui êtes en train de lire ces lignes,
ont dû déjà lire au moins une biographie de Jack, ou sinon, vous
en connaissez les écrits. Comme je suis sa femme, j’ai des informations
particulières, et plutôt que d’énumérer ses succès littéraires,
j’ai décidé de parler d’une personne que vous ne connaissez peut-être
pas très bien, mais que vous apprécierez de connaître mieux, du
moins je l’espère.
Ma première impression de Jack a été qu’il était… différent.
Assurément, il était audacieux: se présenter sur le seuil de la
maison d’une jeune fille, avec un sachet de beignets, et lui demander
si elle voulait bien lui faire du café? Les 56 années qui se sont
écoulées depuis n’ont pas changé mon opinion. Il est encore audacieux,
mais sa qualité la plus remarquable est la persévérance ; d’une
certaine façon, les deux qualités semblent aller de pair. La persévérance
est ce qui permet de faire des choses comme de remuer des tonnes
et des tonnes de terre pour déblayer un terrain et y construire
une maison, ou d’écrire des livres, beaucoup de livres. La petite maison rustique que nous avions achetée à Oakland, avec
son terrain autour, n’était pas idéale, mais elle était bon marché,
et les trois parcelles de collines fournissaient suffisamment d’espace
à nos cinq chats pour partir à l’aventure. Toutefois, le terrain
lui-même était un sacré défi, ne laissant que peu de place pour
y construire quelque chose. Muni d’une pioche, d’une pelle, d’une
brouette, et avec beaucoup de travail, Jack en fit un terrain constructible.
Mur après mur, la cabane rustique disparut, pour devenir, par étapes
économiquement supportables, un endroit vraiment confortable. Et
pendant tout ce temps, Jack arrivait à écrire. Ceci aurait été impossible
sans son énergie (ou sa persévérance).
 Jack déblayant le terrain pour la maison, début des années
70.
Tandis que les contours de notre propriété se modifiaient, il
y avait une préoccupation générale concernant une éventuelle guerre
atomique. Qu’est-ce que fit Jack? Il était déjà en train de déplacer
des tonnes de terre, donc il creusa un tunnel dans le flanc de la
colline: quelques mètres, puis un coude à gauche sur un ou deux
mètres, et un coude à droite, et encore un coude à gauche, pour
terminer par une salle de deux mètres cinquante de côté. Il consolida
les parois et la voûte avec de gros madriers, installa une petite
cheminée pour le confort et la lumière, avec de quoi évacuer la
fumée. Avant de recouvrir le haut de l’excavation avec de la terre,
il étala de lourdes bâches de plastique noir. Avec des lanternes
et des bougies, l’endroit commença à avoir l’air habitable. Un jour, alors que le bruit et l’agitation dans la maison rendaient
la concentration difficile, Jack se retira dans l’abri. Il y emporta
une bouteille thermos avec du café chaud, une chaise pliante en
toile, un coussin pour y poser son porte-bloc. Il alluma un feu
dans la cheminée, et se mit au travail. Enfin la paix! Mais, comme le
hasard ou la nature en décida, la pluie se mit à tomber. Peu de
temps après, un filet d’eau pénétra jusqu’au plastique, puis en
dessous, et finalement dans l’abri. Plic-ploc, plic-ploc! Sur la
tête et les épaules de Jack, sur son porte-bloc et ses papiers.
Assez! L’abri anti-atomique fut un échec, mais pas complètement.
La cheminée fut un bon exutoire pour qu’un jeune enfant de sexe
masculin puisse y satisfaire ses pulsions pyromanes en toute sécurité.
Un autre projet
au succès plus éclatant fut la cabane dans l’arbre. Nous avions
beaucoup de grands eucalyptus, et notre fils John, comme beaucoup
de petits garçons, rêvait d’avoir une cabane dans un arbre. Jack
choisit un vieil arbre énorme qui avait, à cinq mètres de hauteur
à peu près, des branches capables de supporter une plate-forme.
Il installa une échelle, puis une plate-forme faite de deux planches
de contreplaqué, de 12O sur 24O centimètres, et d’une épaisseur
de 2 centimètres. Les murs étaient aussi en contreplaqué, avec deux
fenêtres et une porte. Il y avait un petit porche sur le devant,
avec un accès par un trou percé dans la plate-forme.
 Jack et la cabane dans l’arbre, 1973.
John et ses camarades purent profiter de la cabane pendant suffisamment
d’années, de sorte que quand une terrible tempête l’emporta, avec
toutes les branches qui la soutenaient, ce ne fut pas une tragédie…juste
un peu de tristesse.
L’art culinaire est un des sujets d’intérêt les plus durables
chez Jack. Il aime lire des recettes, lire le détail de banquets
mémorables comme ceux des Epicuriens, concocter ses propres recettes
et festins, faire la cuisine, noter les endroits où on mange bien
et les chefs qui savent rendre divins les ingrédients les plus simples.
Bien sûr, il y a un revers de la médaille à cet intérêt, et il s’appelle
« régime »… Notre fils a de la chance, il a l’air immunisé. Il est
arrivé à Jack de faire un détour pour se rendre à un endroit appelé
« La Pyramide », à Vienne*, où le repas fut tellement mémorable que je suis
sûre qu’il ne fut jamais égalé. Ce qui est remarquable, c’est que
nous nous sommes arrêtés dans ce restaurant un dimanche de Pâques,
sans avoir réservé. Madame Point, qui se tenait sur le seuil pour
recevoir les clients, ou pour les renvoyer, nous accueillit bien
plus chaleureusement que nous ne le méritions ; avec une gentillesse
incarnée, elle demanda à un garçon de nous installer, et c’est ainsi
que commença le repas le plus mémorable que nous ayons jamais eu,
ou pouvons espérer avoir, de toute notre vie. Nous avons eu aussi
l’occasion de goûter la cuisine de M. Pic et de Paul Bocuse, qui
sont très hautement appréciés, mais c’est La Pyramide que nous plaçons
par-dessus tout.
Quand John eut à peu près six mois, je retournai travailler.
Jack fit beaucoup la cuisine pendant plusieurs années ; une de ses
activités préférées était de faire de magnifiques, de délicieux
petits déjeuners pour John. Certains étaient tellement appétissants
qu’il en prit des photos. Je pense que c’était sans doute pour se
rappeler quel plaisir c’était de nourrir son fils, et en même temps
de s’adonner à sa passion pour la cuisine.
 Jack et John, vers 1964.
Les bateaux. Ils représentent pour Jack ses rêves de voyage et
d’aventure. Les bateaux ont toujours été au premier plan des pensées
de Jack ; il faisait toujours des plans pour construire son favori,
il cherchait toujours le bateau le plus sûr, celui qui puisse le
mieux tenir la mer. Une fois il acheta des plans pour construire
un trimaran, un Piver de 36 pieds. Il alla même jusqu’à terminer
et recouvrir de fibre de verre les trois coques. C’est à ce moment
que Mr. Piver disparut en mer, pendant un cabotage dans le sud avec
son trimaran. On ne retrouva jamais son corps. Ceci refroidit plutôt
l’enthousiasme de Jack en ce qui concerne les trimarans. Il vendit
les trois coques et reprit ses recherches. Nous achetâmes
un Venture de 17 pieds, avec un gréement de cotre, pour que notre
fils apprenne à faire de la voile et puisse faire partie de l’équipage
de Jack ; ensuite un Explorer de 45 pieds, conçu par Huntingford,
parce que le Columbia n’était pas assez grand pour pouvoir loger
un équipage de trois ou quatre personnes. Nous vendîmes les deux
premiers bateaux, et l’Explorer fut baptisé Hinano*. Une des
périodes les plus heureuses de la vie de Jack se passa en compagnie
de John, à gréer Hinano, à installer toutes sortes de systèmes pour
renforcer la coque, un radar, des lumières de position, la radio,
un filet de sécurité et des rambardes, à choisir des voiles, acheter
des cartes maritimes et à calculer des itinéraires. Mais en même
temps, le glaucome était en train d’affecter la vue de Jack, et
John devait commencer ses études à l’Université de Berkeley. Tout
ceci fut laissé de côté, même si Jack continua de rechercher un
équipage et d’échafauder des plans. Comme John était
indisponible, ainsi que les autres personnes avec qui Jack aurait
aimé faire une croisière, il dût se décider à vendre Hinano, à contre-cœur.
En plus, la location pour le mouillage et l’entretien coûtaient
vraiment trop cher pour que nous puissions garder indéfiniment un
bateau de cette taille. Un millionnaire, peut-être, mais pas nous.
Comme par hasard, un certain Jack Storer tomba amoureux de Hinano
et fut ravi de l’acheter. Pour une croisière d’essai, Jack Storer
invita deux amis à l’accompagner jusqu’à Monterey. A leur arrivée,
ils ouvrirent des bouteilles pour fêter ça, et quand le stock fut
épuisé, ses amis prirent congé. Mais Mr. Storer décida d’aller à
terre pour acheter une autre bouteille. Malheureusement, il se prit
le pied dans un câble d’amarrage et on le retrouva mort le lendemain
matin. Je ne sais pas si la morale de ceci est qu’il ne faut pas
tomber amoureux d’un bateau qui s’appelle Hinano, ou qu’il ne faut
pas aller à Monterey, ou encore qu’il ne faut pas fêter une aventure…
ou qu’il ne faut pas monter tout seul dans un dinghy. Ca donne à
réfléchir, en tout cas. Nous fûmes atterrés, et très tristes de
la mort de Jack Storer.
Il y a bien des années, lorsque John était encore un bébé, Jack
avait dessiné les plans d’un houseboat, et les avait montrés à plusieurs
amis, mais ceux-ci étaient trop prudents pour être intéressés. Pourtant,
ses amis Frank Herbert et Poul Anderson étaient tous deux aventureux
de nature ; ils acceptèrent avec enthousiasme de participer à la
construction du houseboat. Ce fut une période heureuse. Jack construisit
les pontons dans l’allée de notre garage, et les couvrit de fibre
de verre là aussi. Finalement, ils furent prêts à être transportés
sur la plage dans la baie près de Point Richmond. Plusieurs amis
s’étaient maintenant joints à l’opération, profitant du soleil,
de l’air salin et de la compagnie. A chaque étape terminée, on célébrait
ça, il y avait vraiment une atmosphère de fête. Le pauvre Frank Herbert ne put rester dans la course, à cause
de problèmes de santé. Par ailleurs, sa famille et lui envisageaient
de déménager dans le Nord, ce qui impliquait qu’il devait rompre
le partenariat. Finalement, il fut remplacé par notre ami guitariste,
Albert Hall, qui avait régulièrement participé aux opérations. A
la fin de la journée de travail, les chansons et les airs de guitare
d’Albert faisaient notre bonheur. Quelquefois, nous allions dans
notre restaurant favori, qui affichait du poisson au menu. Une fois le pont et les bases fixées aux coques, l’étape suivante
fut de mettre le tout à l’eau, là où la cabine était en construction.
Un soir, les propriétaires du petit café qui vendait des hamburgers
et autres sandwiches sur la jetée apportèrent une bouteille de champagne
pour baptiser le houseboat, ce qui fut fait immédiatement… même
si aucun nom particulier ne lui fut jamais donné : on l’appela Houseboat,
tout simplement.
 Houseboat avec Albert Hall, Jack et Poul Anderson, vers 1962.
On installa un moteur de hors-bord à la poupe, relié à la roue
du gouvernail dans la cabine avant grâce à une invention de Jack
: deux longues barres renforcées, à l’intérieur de tuyaux en aluminium.
Le mécanisme fonctionnait remarquablement bien. (A propos : la roue
de gouvernail était un cadeau de Frank Herbert). On peignit le bateau
en blanc avec des bordures bleues à l’intérieur et à l’extérieur.
On installa six matelas en mousse sur les couchettes, on accrocha
des rideaux (que j’avais faits moi-même), on installa aussi des
toilettes et un lavabo, et un réchaud ventru dans la cuisine-salle
à manger. Vint alors le moment de déplacer le bateau dans les Marais
du delta des rivières Sacramento-San Joaquim-Mokelumne. Jack fit
le voyage inaugural avec six autres hommes et jeunes garçons, en
remontant la rivière Sacramento. Une escale de nuit dans le port
de Dalrelio, un départ très matinal le jour suivant, et ils arrivèrent
largement dans les temps au port de « Moore’s Riverboat », sur la
rivière Mokelumne. C’est dans ce même amarrage que Houseboat connut
son destin fatal quelques années plus tard, mais pas avant que nous
ayons pu amasser toute une moisson de bons souvenirs.

Notre bateau était idéal pour la vie dans les Marais : vacances,
fêtes et escales d’une nuit, généralement passées loin du port.
Le houseboat glissait à la surface des marais, à la recherche d’un
bon ancrage. En été, il y avait des mûriers chargés de baies toutes
prêtes à être cueillies depuis le pont. Quand le soleil se couchait,
nous nous relaxions sur le pont, les pieds contre le bastingage,
chacun tenant en main sa boisson favorite, en écoutant le chant
des insectes, animaux et cris d’oiseaux : un pur délice. Les matins
étaient généralement froids, mais après avoir chargé et allumé le
petit réchaud à bois, la cabine se réchauffait et devenait confortable. Jack et moi projetions de faire un voyage en Irlande avec John,
et pensions y rester un an ou plus. Il nous faudrait donc transférer
la propriété du houseboat à notre ami Ali (pour « Alidor ») Szantho,
dont la passion était la pêche, et il choisit comme autre partenaire
quelqu’un qui aimait également pêcher. Ils trouvaient que l’embarcation
était un peu trop basse sur l’eau pour la pêche, et ils retirèrent
donc les lourds panneaux des plafonds. Le bateau se redressa d’au
moins trente centimètres, peut-être plus encore. C’est peut-être
cette petite modification qui a causé la perte du bateau, ou une
quelconque mésaventure. Nous ne le saurons jamais.
J’ai mentionné l’audace et la persévérance de Jack, et j’aimerais
maintenant parler d’un Jack plus jeune - celui d’avant Norma - pour
apporter une preuve supplémentaire.
Quand il avait 18 ans, Jack vivait avec sa Tante Nellie (la sœur
de son père) à San Francisco, juste à côté de la maison jumelle
qui avait appartenu autrefois à sa mère. Ce privilège lui était
accordé en échange de menus services qu’il rendait dans la maison.
Comme pratiquement tout le monde, Jack était fasciné par la construction
du pont qui devait relier Oakland à San Francisco, sur la Baie.
Avant, il y avait seulement une flotte de ferries qui transportaient
les voitures et passagers de San Francisco à Oakland, et vice-versa.
La seule autre solution était d’aller jusqu’à San José, et traverser
ensuite la ville d’ouest en est pour rejoindre l’autoroute 680,
et remonter vers le nord jusqu’à Oakland. Les pylônes en acier étaient déjà en place, ancrés à intervalles
réguliers dans le fond de la baie, et se dressaient à une hauteur
impressionnante ; je dirais au moins 60 mètres, peut-être même 90*.Les
câbles commençaient aussi à être tendus entre les pylônes. . Un soir, Jack s’est rendu sur le chantier avec sa motocyclette.
Il l’a attachée à un poteau, puis il a regardé autour de lui, et
n’a vu ni entendu personne. Il y avait sans doute un panneau qui
avertissait que le chantier était « Interdit Au Public », mais il
ne l’a pas remarqué. Le travail sur ce pont se faisait jour et nuit
; ce serait donc très difficile de ne pas être repéré, puisque son
projet était de grimper sur le câble jusqu’au sommet du premier
pylône. Au début, le câble était en pente douce, mais à mesure
qu’il se rapprochait du pylône la pente devenait de plus en plus
raide. Le câble faisait à peu près soixante centimètres de large,
avec un filin de sécurité en acier de part et d’autre, pour s’accrocher.
Rien que de m’imaginer dans une situation pareille me paralyserait
tellement de peur que je ne serais même pas capable de me tenir
à la corde, mais d’après Jack, il ne ressentait aucune angoisse.
Il atteignit le pylône au bout de vingt minutes à peu près, et entendit
presque aussitôt des voix en provenance du deuxième pylône. La seule
chose qui retint Jack fut la pensée qu’il risquait d’être surpris
là où il n’était pas censé se trouver… C’est pourquoi il fit
demi-tour sans hésiter et redescendit avec précaution jusqu’au sol.
Pourquoi avait-il tenté cela ? Juste pour le frisson.
Sam Wainwright était étudiant à U.C. Berkeley quand Jack le rencontra
pour la première fois, alors que Jack faisait un reportage pour
le Daily Californian*. Le cerveau de
Sam faisait des heures supplémentaires ! Sam était brillant, et
en même temps un peu fou. Il essayait toujours quelque chose de
nouveau, tout le temps à planifier et organiser. Tout le monde en
avait entendu parler, parce qu’il défrayait souvent la chronique,
mais il avait peu d’amis. Il était plus tourné en ridicule qu’apprécié.
Jack sut voir au travers des excentricités de Sam, apprécia son
esprit et devint son ami. Sam créa le Club des « Remueurs de Pouce »*. Jusque là, seules deux personnes avaient rejoint le club.
Jack ne devint pas membre, mais il accompagna la première compétition,
pour écrire un article dans le Daily Cal. Le principe du jeu
était de voir qui pourrait aller en auto-stop depuis le bas de University
Avenue jusqu’à Salt Lake City, et revenir le premier à Berkeley.
Il y avait quatre concurrents, donc Sam fit deux équipes, une menée
par Sam et une par Jack. Tous les quatre portaient un T-shirt avec
un pouce dessiné sur le devant. L’équipe de Jack fut la première à trouver un chauffeur. Celui-ci,
en fait, les reconnut : « Oh, les gars ! Vous êtes les Remueurs
de Pouce ! » En fin d’après-midi du premier jour, ils étaient arrivés
à Reno. L’équipe de Sam était à Sparks, Nevada. Le lendemain matin,
l’équipe de Sam réussit à monter avec un Indien (Américain) qui
prétendait aller dans la direction de Salt Lake City, mais au bout
de 80 kilomètres dans le désert, il leur dit au revoir et partit
sur une petite route secondaire. Quel pétrin ! L’équipe de Jack
réussit à aller jusqu’à Winnemucca, mais les deux équipes commençaient
à ne plus trouver ça très drôle. Jack avait entendu
dire que la compagnie ferroviaire de Santa Fe était plutôt sympa
avec les vagabonds, et les laissait monter sans faire d’histoires
; lui et son compagnon se dirigèrent donc vers la voie ferrée. Il
n’y avait personne aux alentours, apparemment, et ils montèrent
donc dans le fourgon de queue, s’y installèrent confortablement,
et allumèrent même un feu dans le poêle. Ils commençaient à sommeiller
quand le flic du chemin de fer entra dans le fourgon, en brandissant
sa matraque et en criant « Vous vous prenez pour qui ? Tirez-vous d’ici ! Tout de suite
! » (ce n’était pas un train de la compagnie de Santa Fe) « Mais le train roule trop vite ! » « Il ira encore plus vite tout à l’heure ! Vous m’avez entendu.
Sautez ! » « Gulp. Descendons maintenant, on s’en sortira peut-être sans
trop de mal. » « Allez, sautez ! Tout de suite ! » Le train roulait à 25 ou 30 kilomètres à l’heure. Ils sautèrent
et récoltèrent quelques bosses et égratignures, mais rien de grave. L’équipe de Jack rejoignit finalement Berkeley le lendemain,
et l’équipe de Sam arriva 36 heures plus tard, pas très contente. Jack resta ami
avec Sam pendant de nombreuses années, mais il finit par se fâcher
avec lui, parce que malgré tous les conseils que Sam demandait à
Jack sur divers problèmes, particulièrement pour des histoires de
femmes, Sam n’était jamais fichu d’en tenir compte. Plus tard, quand
Jack l’entendit au téléphone me demander conseil pour la même chose
qu’avec Jack peu de temps auparavant, il perdit tout respect pour
Sam et lui interdit désormais de nous appeler. Pauvre Sam ! Il avait
un potentiel formidable, mais il était incapable de l’exploiter.
Jack avait beaucoup d’amis quand il était à l’Université, dont
certains avaient le diable au corps. Il semble que concevoir des
farces et des blagues permet de soulager certaines pressions liées
au système éducatif. Jack, avec trois de ses amis, estima qu’il
était faisable de hisser un drapeau communiste au sommet du Campanile,
avec la méthode suivante : d’abord fixer une ficelle solide autour
des quatre angles de la tour, puis attacher les deux extrémités,
en laissant un peu de jeu. Ensuite, attacher à la ficelle, à chaque
coin, 5 ballons gonflés à l’hélium. Puis attacher le drapeau à la
ficelle, du côté visible par le plus grand nombre. Chacun des quatre
farceurs tenait un bâton avec une ficelle et un crochet au bout,
l’idée étant de placer le crochet sous la ficelle et de la secouer
pour que les ballons montent progressivement, et qu’ainsi le drapeau
arrive en haut. Ce qu’ils n’avaient pas prévu est qu’un vent très
fort se mit à souffler, en même temps que les flics du campus passaient
dans le coin, dans le cadre de leur tournée. Rien que le vent aurait
suffi à gâcher la fête, mais quand les garçons virent les flics,
ils se dispersèrent dans toutes les directions. Il y avait tellement
de bruit et de confusion avec ce vent, que personne n’a jamais su
qui étaient les coupables.
Voilà. Je pourrais en écrire bien davantage, mais là maintenant,
je n’ai pas le temps…et ça vaut peut-être mieux comme ça.
 Norma avec un des premiers manuscrits, vers 1953.
Norma Vance, Juillet 2003, avec
l'autorisation de l'auteur (Traduit de l’anglais par Patrick
Dusoulier)
*
Vienne, en France, bien sûr, pas en Autriche !
(NDT) Fernand Point qui dirigeait le restaurant à l'époque, est
toujours considéré comme un des grands maîtres de la gastronomie
française . Le restaurant d'André Pic dont parle Norma était à Valence
sur la nationale 7. Bocuse a été apprenti chez Point. * Hinano : une marque de bière tahitienne
( www.hinano.com
), dont l’étiquette
représente une jeune vahiné… Jack y fait allusion
dans plusieurs textes, particulièrement dans un de ses « policiers
nautiques », dont le titre original est « Deadly Isles ». Cette
petite remarque pour expliquer une réflexion de Norma sur la mort
du pauvre Jack Storer, voir plus loin… (NDT) * C’est juste une
estimation, ils sont encore plus hauts. 227
métres exactement au dessus du tablier du pont . * Le Daily Californian (« Daily Cal » pour les intimes…)
était, et est toujours, le journal des étudiants de l’Université
de Californie à Berkeley. Jack y a beaucoup collaboré, en particulier
avec des chroniques de jazz, dans lesquelles on voit que « Vance
pointait déjà sous Jack »… On y trouve déjà cette prose élégante,
un vocabulaire ciselé, et cette forme d’humour typiquement Vancienne…
Malheureusement, comme je l’ai indiqué par ailleurs, Jack ne souhaite
pas que ces chroniques soient publiées. * Thumbwagger’s Club (NDT)
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