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Cet article est paru en anglais dans
le numéro 39 de Cosmopolis, bulletin mensuel édité par le Projet
VIE.
Ca m’est vraiment arrivé! Compte-rendu du
Marcon 38 par David B. Williams
Je n’aurais jamais pensé que ça puisse vraiment m’arriver. Non,
impossible que Jack Vance, mon idole littéraire de ces 40 dernières
années, puisse réellement être là comme prévu, à 86 ans, lors d’un
rassemblement public, à 250 kilomètres à peine de chez moi.
Pendant la semaine qui a précédé le Marcon 38 à Columbus, dans
l’Ohio, du 23 au 25 mai 2003, j’ai vérifié tous les jours le site de
la Convention, attendant de voir ce qui allait se passer qui pourrait
réduire à néant mes chances de rencontrer Jack. Un des autres invités
avait déjà annulé. Jack allait sûrement attraper un mauvais rhume,
le « Big One »* allait ratatiner les autoroutes d’Oakland, quelque
chose allait se mettre en travers du chemin du Destin. Mais le grand jour arriva. Un rendez-vous que je ne pouvais déplacer
me retint au bureau jusqu'à 17h. Les cérémonies d’ouverture du Marcon
étaient prévues pour 20h30 le soir même, et il faut bien trois heures
et demie de route pour aller d’Indianapolis à Columbus. Les invités
d’honneur allaient être présentés pendant les cérémonies d’ouverture,
ce serait donc ma première occasion de voir Jack. Vous imaginez
comme il me fut difficile de respecter les limitations de vitesse
- mais on était la veille du week-end du Memorial Day, et la police
d’Etat était déployée en force.
Je suis arrivé dans le parking à 20h29, et je me suis précipité
dans l’hôtel, cherchant le comptoir d’accueil de la Convention,
car j’allais avoir besoin d’un badge pour pouvoir entrer. Mais en
fait, je n’ai pas eu besoin de badge pour voir Jack. Alors que je
traversais le salon menant aux salles de conférence, j’ai reconnu
Jack et Norma, assis à une petite table et prenant un verre avec
seulement une autre personne. J’avais oublié le changement d’heure entre Indianapolis et Columbus.
Indianapolis reste sur le Eastern Standard Time toute l’année, alors
que le reste de la zone se décale d’une heure dans le cadre des
économies d’énergie. Il n’était pas 20h30 à Columbus, mais 21h30,
et les cérémonies d’ouverture étaient terminées. Au moins, du coup,
il n’y avait pas la queue pour s’inscrire. J’ai obtenu mon badge
en 90 secondes, et je me suis précipité dans le salon. Il y avait
toujours Jack et Norma, et leur entourage réduit à une personne,
assis tous seuls dans leur coin.
C’était une chance unique. Je suis plutôt du genre réservé, mais
au risque de passer pour un schmeltzeur*, je me suis approché de
la table et j’ai demandé : « Puis-je me présenter ? » J’ai été le bienvenu, et ils m’ont prié de m’asseoir à leur table
comme s’ils m’avaient attendu tout ce temps-là. Le compagnon de
Jack et Norma se révéla être Bill Schulz, un vieil ami des Vances
du temps où il vivait en Californie, et qui est maintenant à l’Université
de l’Arizona du Nord, à Flagstaff* . Il était là pour servir de
« chien d’aveugle », m’a-t-il expliqué plus tard. Jack a entamé la conversation avec un « David Williams,
c’est un nom Gallois, n’est-ce pas ? » et de là, nous sommes passés
aux conventions régissant les noms dans différentes cultures, aux
autoroutes célèbres, et à l’astronomie quand j’ai mentionné que
j’étais astronome amateur. Jack s’est révélé être bien informé sur
l’interférométrie stellaire, l’optique adaptive, et autres sujets
de l’astronomie moderne. Il m’a dit plus tard qu’il lisait (en fait,
il écoute) essentiellement de la non-fiction - sciences, géographie,
histoire. J’ai mentionné que ma spécialité portait sur les étoiles binaires
à éclipses, et Bill m’a demandé s’il y avait des avancées nouvelles
dans ce domaine, ce qui nous a amenés à discuter du calibrage de
l’échelle de distance des Céphéides et de l’expansion de l’Univers.
J’ai parlé d’un nouveau concept en cosmologie et Bill s’est penché
en arrière avec un air atterré. « J’ai dit quelque chose qu’il ne
fallait pas ? » ai-je demandé. Il s’avère que Jack est sceptique en ce qui concerne la
pensée actuelle en cosmologie, et il a démarré au quart de tour,
remettant en question la réalité ou les implications des décalages
vers le rouge, la matière noire, et le rayonnement cosmique. Bill
défendait vaillamment la physique telle que nous la connaissons
; les photons décalés vers le rouge ne peuvent pas être de la «
lumière fatiguée » puisqu’il faudrait que les photons puissent réagir
avec quelque chose pour pouvoir perdre de l’énergie, et nous n’avons
rien détecté de ce genre. Mais finalement j’ai réussi à dévier la
conversation quand j’ai dit à Jack : « Je suis d’accord avec la
théorie que vous exposez dans Morreion, quand les magiciens vont
aux confins de l’Univers et trouvent une planète qui est découpée
à mesure qu’elle dépasse le bord. » Ceci a amusé Jack, qui a déclaré
en riant : « Rien menace Morreion ! »
Jack aime faire bonne chère et bien boire, et il arbore une belle
bedaine. Une situation amusante se produisit pendant notre conversation.
Jack a tendance à se tenir en arrière contre le dossier de sa chaise,
et le devant de sa chemise est sorti de son pantalon, de sorte qu’on
voyait quelques centimètres de son ventre. Norma l’a remarqué, et
l’a persuadé de rentrer sa chemise dans le pantalon. Ca m’a fait
sourire : Jack buvait une Heineken. Dans un tel moment, quel vrai
Vancien ne se remémorerait pas la rencontre de Cugel avec les mermelants,
qui lui demandent : « Avez-vous de la bière ? Nous sommes des
buveurs de bière renommés et nous montrons notre ventre à tout le
monde! »*
Notre conversation se poursuivit pendant une heure. J’étais surpris
que personne ne vienne lui serrer la main, ou lui demander un autographe.
Mais le participant moyen à ces conventions a entre 15 et 25 ans,
avec comme centres d’intérêts les jeux et les vidéos, trop jeunes
et trop éloignés de la SF littéraire pour se rendre compte de l’honneur
que c’est d’avoir Jack comme invité. Bon, je ne me plains pas. Vers 22h30 nous nous sommes souhaité bonne nuit et nous nous
sommes séparés. Alors que je me frayais un chemin dans la foule
des participants, je me suis dit que la cécité de Jack lui procurait
au moins un avantage : il ne pouvait pas voir les Soldats
Impériaux et les Klingons qui s’ébattaient dans l’hôtel, un aspect
de la science fiction pour lequel Jack a exprimé un profond dédain.
A 10 mètres de l’endroit où nous étions assis auparavant, je suis
passé à côté d’un couple habillé de cuir noir. Elle était baissée
en avant, et il était en train de fouetter son vaste postérieur
avec une laisse…
Le lendemain matin, j’ai étudié le programme de la convention,
un grand tableau matriciel indiquant les thèmes des réunions et
les participants. Je ne trouvais aucune mention de Jack, quand j’ai
fini par voir une ligne au bas du tableau, annonçant une séance
d’autographes l’après-midi. Il devait certainement y avoir autre
chose ? J’ai continué de chercher, et j’ai finalement vu « Kaffeeklatsches*
avec Jack Vance », une quatrième note de bas de page dans le programme
du Vendredi, au milieu d’horaires pour les expositions d’art et
d’achat/vente, etc. J’ai sursauté quand j’ai vu que la première
séance démarrait à 11h30 le samedi, et il était déjà 11h20. Il fallait
s’inscrire au préalable pour ce genre de réunion, et j’ai foncé
vers le comptoir des inscriptions. Sept des huit places disponibles
étaient déjà prises. J’ai signé comme numéro 8, et je me suis dépêché
de trouver le restaurant de l’hôtel, car ce kaffeeklatsch était
en fait un déjeuner.
Je suis arrivé en retard d’une minute ou deux seulement. La plupart
des places autour de la longue table étaient prises. Jack était
assis à l’angle d’une extrémité de la table, Norma et Bill aux deux
angles à l’autre bout. Les places d’honneur à chaque bout étaient
libres. Je suis allé dignement m’asseoir entre Norma et Bill. J’avais
déjà pu profiter de la compagnie de Jack, et je voulais laisser
à quelqu’un d’autre une chance de pouvoir s’asseoir à côté de lui.(vous
auriez fait pareil, non ?) Mais personne d’autre n’est arrivé, et
le garçon m’a suggéré de prendre la place libre à l’autre bout.
OK, je me suis dit, et j’ai accepté. Pendant les deux heures qui
ont suivi, j’étais assis à la droite de Jack, en me demandant si
je ne ferais pas bien d’acheter un billet de loterie : apparemment,
la chance était avec moi ce week-end.
Pendant le déjeuner, j’ai pu faire un commentaire de temps en
temps, mais je n’ai pas eu besoin de poser de questions, les autres
fans de Vance s’en sont chargés à tour de rôle. Voici ce que j’ai
appris : - Les romans policiers Isle of Peril (sous le nom de
Alan Wade), et Take My Face (sous le nom de Peter Held), publiés
par Mystery House en 1957*, sont des manuscrits que Jack n’arrivait
pas à placer, et qui ont été finalement vendus en bloc à l’éditeur
pour une somme ridicule, $100 chacun (Jack a dit qu’il y avait trois
manuscrits, mais je n’ai trouvé que ces deux-là dans sa bibliographie).
- Jack considère que les illustrations de Jack Gaughan pour
Les Maîtres Des Dragons dans le magazine Galaxy ont vraiment attiré
l’attention des lecteurs. « Je tire mon chapeau à Jack Gaughan pour
ses illustrations magnifiques, » a dit Jack. Il considère que ce
sont les illustrations qui ont fait la différence pour l’obtention
de son premier Hugo Award. - Au cours de cette rencontre, et
d’autres plus tard, j’ai remarqué la façon dont Jack prononce certains
noms propres dans ses histoires.* Unspiek, Baron Bodissey,
se prononce UN-speek, BAH-di-see. L’accentuation dans Morreion se
fait sur la deuxième syllabe, more- EYE-un. Pao se prononce PAY-oh,
en deux syllabes avec accentuation sur la première. Jack prononce
Tschai comme « shay », mais accepte « chy » comme étant une variant
raisonnable. Cugel rime avec le mot anglais « bugle », et l’accent
tonique dans Lurulu est sur la première syllabe, LOO-roo-loo. -
Jack aime beaucoup ses romans de Cugel ; il aime assez la
trilogie Cadwal ; il considère que la trilogie Lyonesse est assez
bien faite, et il aime Escales dans Les Etoiles. - Lurulu est
« pratiquement prêt » à partir chez Tor, son éditeur. - Jack
se considère comme un musicien frustré : « La musique représente
beaucoup pour moi, » dit-il. Mais il n’a pas réussi à devenir un
bon musicien, une raison étant que ses doigts ne sont pas assez
agiles. - Ses endroits favoris, au cours de ses voyages à travers
le monde, sont l’Irlande, la région de Dordogne, en France, Positano
en Italie (avant que ça ne devienne un grand centre touristique),
et Tahiti, qui était formidable jusqu’à ce que Norma et lui attrapent
une fièvre tropicale qui a mis fin à leur projet de faire le tour
du monde. - Jack a rencontré Norma fin 1945 ou début 1946. Il
venait de quitter la Marine Marchande, et il travaillait en tant
que charpentier. Il était sur un chantier un jour quand par hasard
il jeta un coup d’œil par-dessus la clôture. Sur le porche de la
maison d’à côté, il vit une jeune fille, 18-19 ans, qui caressait
un petit chat. Il a trouvé qu’elle avait l’air merveilleuse, la
plus jolie fille qu’il ait jamais vue. Alors, « j’ai fait sa connaissance,
et une chose en a amené une autre, et nous nous sommes mariés »
en août 1946. - Jack reconnaît qu’il n’écrit pas pour le
plus petit dénominateur commun. « Je n’ai pas de fans qui soient
stupides. ». - Jack aime autant que ses fans les épigraphes
qu’il a écrites en tête des chapitres de ses Princes Démons. Pourtant,
l’éditeur de Galaxy, Fred Pohl, ne voulait pas les inclure dans
les épisodes publiés en série dans le magazine.
Une fois que tous les autres ont eu leur tour de parole, je me
suis lancé. J’ai demandé : « Est-ce que vous pourriez faire quelque
chose pour moi ? Dans tous vos romans, les héroïnes sont des créatures
un peu maigrichonnes, qu’on prend pour des garçons jusqu’à ce qu’on
les examine de plus près. Si vous êtes en train d’écrire un nouveau
roman (et là, il a dit « Je suis en train… »), qu’est-ce que vous
diriez d’une héroïne, ou de la petite amie du héros, qui soit grande,
gironde, avec de larges hanches et des cuisses voluptueuses ? »
Il a vigoureusement rejeté cette suggestion. « Je n’aime pas les
filles avec des grosses fesses, style Marilyn Monroe ! » a-t-il
dit avec force. J’ai cru qu’il allait taper du poing sur la table.
Tant pis pour ma seule tentative d’influencer l’œuvre de Jack Vance.
Une fois que la plupart des invités se soient retirés, Jack a
voulu rester pour boire une bière, et deux ou trois d’entre nous
lui ont tenu compagnie. Dans cette ambiance détendue, j’ai tenté
une question un peu pointue, avec un peu d’appréhension car je sais
qu’il n’aime pas, en général, discuter de ses histoires en détail
(et pour être tout à fait juste, il lui est souvent impossible de
se souvenir de ce qu’il avait en tête, dans des histoires écrites
il y a 30 ou 40 ans). C’est une question qui était revenue deux
ou trois fois sur le JVMB* : "Quelle est la relation entre
les Pnume, les Phung, et les molosses de la nuit ?" Les
Pnume et les Phung se ressemblent physiquement. Les œufs des molosses
de la nuit sont déposés sur les parois des grottes de Phung. Est-ce
que Jack envisageait ces trois créatures comme étant des phases
distinctes du cycle de vie d’une espèce unique ? Ou bien est-ce
que les Phung sont des « Pnume à la conduite malséante » ? Non,
répondit Jack, ce sont des espèces indigènes distinctes, les Phung
étant peut-être une sous-espèce de Pnume, mais pas des formes différentes
d’une même espèce. (Un exemple parallèle pourrait être celui des
humains, des chimpanzés et des gorilles, ou les chiens sauvages
d’Afrique, les chacals et les hyènes, tous semblables dans la forme
mais distincts par l’espèce)..
La séance d’autographes attira du monde, avec une longue file
de fans portant des sacoches pleines de livres, dont au moins une
collection VIE. J’ai vu quelques beaux spécimens : les éditions
Avalon de Planète Géante et Les Langages de Pao, l’édition reliée
d’Emphyrio chez Doubleday, etc. Jack signait et signait, la séance
prévue pour une demi-heure a été prolongée à une heure, et il a
finalement fallu l’arrêter pour que Jack puisse se rendre au kaffeklatsch
suivant (où il signa encore beaucoup de livres). Pendant le second
kaffeklatsch, Jack a un peu évoqué son style d’écriture, sa recherche
de constructions de phrases qui soient plaisantes, ou « non déplaisantes
», du point de vue du rythme. « Le secret est de ne pas bloquer
l’œil du lecteur au milieu d’une phrase. Il faut que le lecteur
ne se rende pas compte qu’il est en train de lire. »
Un participant a soulevé la question du don que possède Jack
pour créer des néologismes. Tout le monde a dit adorer le mot «
chife »*. Mais Jack a été plutôt choqué quand je lui ai appris que
« nuncupatory »* est dans le Webster’s (dans la troisième édition,
non abrégée, du New International Dictionary). Sa signification
obsolète est « nommer » ou « déclarer » : Jack pensait l’avoir inventé
lui-même, et en tout cas l’utilise dans un sens différent.
On a continué de parler de ses voyages et de ses endroits favoris.
Ceci a amené Jack sur un autre de ses sujets préférés, la voile
et la navigation en mer. Quand John II a eu 19 ou 20 ans, ils ont
acheté un ketch de 45 pieds*, l’idée étant de naviguer dans le Pacifique
Sud. Mais Jack n’avait pas réussi à se constituer les réserves suffisantes
pour financer l’expédition : John allait entrer à l’université,
et les coûts fixes entraînés par la possession du bateau étaient
élevés. Ils réussirent à naviguer jusqu’en Oregon et retour, mais
Jack se rendit compte que c’était un rêve irréalisable, et il finit
par revendre le bateau (au grand soulagement de Norma). Pendant
qu’on en était sur le sujet de la voile, j’ai fait remarquer que
beaucoup de biographies de Jack, sur les couvertures de livres,
mentionnaient qu’il avait été torpillé deux fois pendant qu’il était
dans la Marine Marchande, et je lui ai demandé si ces incidents
avaient été graves. Mais Jack a répondu que non, il n’a jamais été
torpillé, et il ne sait pas d’où vient cette histoire*. Il a commencé
à dire quelque chose au sujet d’autres situations périlleuses, puis
s’est arrêté brusquement : « Bon, je n’ai pas envie de raconter
des histoires de guerre. »
Nous avons aussi parlé de ses amis Poul Anderson et Frank Herbert.
Jack semblait se remémorer Anderson avec une affection particulière.
Il a aussi raconté comment un jour Frank Herbert a décrit avec enthousiasme
une idée qu’il avait eue pour une histoire, avec une planète recouverte
de sable et des vers géants et d’autres trucs, et Frank a demandé
à Jack ce qu’il en pensait. Jack n’était pas particulièrement impressionné,
mais il a hoché la tête et émis quelques grognements polis. Plus
tard, quand Dune a été publié, avec l’immense succès que l’on sait,
Jack a été surpris et amusé par les déclarations de Frank à des
interviewers, disant que c’était grâce aux encouragements de Jack.
Jack a dit qu’il n’avait jamais vraiment été intéressé
par les histoires de Frank Herbert parce que beaucoup d’entre elles
contenaient un élément de mysticisme. Il a noté que dans ses propres
histoires il est toujours sarcastique à propos des prêtres et des
religions en général (sa propre religion semble être le whisky pur
malt, qu’il pratique avec dévotion et révérence).
Le dernier kaffeklatsch eut lieu le dimanche matin à 11h30. Les
sujets sur la nourriture, les boissons et les voyages, amenèrent
Jack à exposer sa philosophie de l’existence : «La seule raison
fondamentale de vivre est la recherche du romanesque* - je
ne connais pas de meilleur terme - l’ambition d’accomplir toutes
les choses merveilleuses que la vie peut offrir. »
Quelqu’un lui a demandé comment, ou pourquoi, il avait commencé
à écrire de la science fiction, et Jack a commencé à décrire son
enfance, alors qu’il était un lecteur omnivore, et très éveillé
pour son âge. Il est entré au lycée à l’âge de 11 ans et en savait
plus, sur pratiquement tout, que ceux qui l’entouraient. Parmi les
nombreuses choses qu’il lisait, il y avait les magazines Weird Tales
et Amazing Stories Quarterly, ce qui fait que son intérêt pour la
littérature fantastique a commencé pendant son enfance. Plus
tard, après avoir travaillé pendant plusieurs années dans n’importe
quel job qu’il pouvait trouver, il a pu entrer à l’Université de
Californie avec une petite bourse d’études. Il s’est inscrit à un
cours d’Anglais pour compléter les critères exigés. Une fois par
semaine, les étudiants devaient rendre une composition, et un jour,
Jack décida d’écrire une nouvelle de science fiction. Après qu’il
eut corrigé les devoirs, le professeur déclara à la classe qu’il
y avait quelques histoires excellentes dans le lot, puis il ajouta
: «Nous avons aussi un truc de science fiction » avec un ton
méprisant. Ca se passait aux environs de 1937-1938, et nous avons
là le premier rejet d’un manuscrit de Jack.
Jack a aussi discuté de l’intérêt que Norma et lui avaient développé
pour la céramique (ce devait être vers 1948-1949). Ils avaient ouvert
une boutique qu’ils avaient appelée « Ceramic Center », pour faire
la cuisson et pour vendre des matériaux et divers ingrédients. Ils
n’eurent pas beaucoup de réussite, et durent fermer la boutique.
Mais la céramique reste un des sujets d’intérêt de Jack. Plus tard,
quand ils eurent de la place dans leur maison, dans les collines
d’Oakland, il installa un four à gaz et un tour de potier ; et il
continua de pratiquer « cet ensemble de techniques artisanales absolument
fascinantes».
Les Vances ont acheté leur propriété dans les collines d’Oakland,
« trois parcelles et une petite cabane », en 1954, pour une somme
très modique. Jack a aménagé et étendu la maison au cours des 30
années qui ont suivi, « en jetant la vieille maison par les fenêtres
» tandis qu’il remplaçait le vieux avec du neuf. Finalement, un
mur de la salle de bain est tout ce qui reste de la cabane d’origine.
Aujourd’hui, après y avoir habité près de 50 ans, les Vances n’occupent
plus la célèbre maison des collines d’Oakland ; leur fils John avait
une famille et une petite maison, tandis que Norma et Jack étaient
seuls dans la grande maison. Ils ont donc fait un échange il y a
quelque temps.
On a demandé à Jack de parler à nouveau de ses voyages. Dans
les premiers temps au moins, Norma et lui voyageaient pour pas cher.
Quand Jack réussissait à avoir 2000 dollars d’avance, ils partaient
vagabonder en Europe, Afrique, Asie et Pacifique Sud, rentrant à
la maison avec un compte bancaire vide. Il s’est rendu compte que
sa carrière avait pris un tournant quand au bout du troisième ou
quatrième voyage, en rentrant chez lui, il a découvert qu’il y avait
plus d’argent sur son compte que lorsqu’il était parti.
La plupart des histoires de Jack, dans la période de 1950 à 1970,
ont été écrites entièrement, ou en partie, à l’étranger. J’ai demandé
s’il trouvait difficile d’écrire dans des environnements non familiers.
Non, a-t-il dit, il a commencé dans la Marine Marchande, assis sur
le pont avec un porte bloc sur les genoux, et c’est ce qu’il a continué
de faire - que ce soit lorsqu’il campait en Afrique du Sud, vivant
sur un houseboat dans le Cachemire, ou assis sous des palmiers à
Tahiti.
Je lui ai aussi demandé pourquoi tant de personnages de ses histoires
sont des radins et des grippe-sous. Rhialto se plaint de l’extravagante
compensation qu’il doit fournir aux Minuscules qui réparent son
poteau indicateur - deux onces de miel et des quantités comparables
d’autres nourritures, pour une semaine de travail ! Après La Machine
à Tuer, Gersen a un revenu d’à peu près un million de SVU par jour.
Mais sur la planète Moudervelt, il refuse de payer la somme initialement
demandée pour la taxe d’atterrissage, la chambre d’hôtel, et même
les deux misérables SVU pour la brochure touristique locale. A voir
comment Jack souriait, on voyait qu’il aime bien écrire ces scènes
de marchandage. C’est peut-être une sorte de fantasme libérateur,
car il reconnaît qu’il n’est pas lui-même très fort pour négocier
les prix. Pendant qu’il évoquait ses voyages, Jack a reconnu
qu’il arrivait à se débrouiller en Français, Allemand et Espagnol,
des connaissances qui se renouvelaient chaque fois que Norma et
lui séjournaient dans une zone linguistique correspondante. Je lui
ai fait remarquer qu’il connaissait un peu le Japonais, qu’il a
étudié à l’Université pendant un an ou deux au début de la guerre,
dans le cadre d'un programme des Services de Renseignement de l’Armée.
Jack a dit qu’à un moment, il connaissait un millier de caractères
japonais*, et arrivait très bien à l’écrire, mais que la langue
était trop idiomatique et qu’il n’avait jamais réussi à atteindre
un niveau courant dans la langue parlée.
Le sujet des langages m’a aussi amené à faire remarquer qu’alors
que les histoires de Jack reposent sur un axiome d’infinie flexibilité
des cultures humaines, il n’en est pas de même pour les langues.
Jack a dit qu’il adopte plusieurs conventions pour rendre ses histoires
plausibles. L’une d’elles est qu’il y a un langage universel, car
il serait impossible de raconter des histoires interplanétaires
ou interstellaires s’il fallait traiter le langage de façon réaliste.
Une autre convention est qu’il passe sous silence le fait que les
protéines extra-terrestres seraient des poisons violents. Il tient
compte de l’ajustement nécessaire à la pression atmosphérique lors
de l’atterrissage sur une nouvelle planète, ainsi que de la prise
de médicaments pour lutter contre les éléments pathogènes locaux,
mais il ne parle pas du problème des protéines.
Quant à nous, il fallait bien parler du problème de temps. La
séance avait duré pratiquement deux heures, et il était temps de
partir. Jack a encore signé quelques piles de livres, et les invités
en ont profité pour lui dire, avant de partir, tout le plaisir qu’ils
avaient éprouvé en lisant ses livres. J’ai serré la main qui a écrit
Un Monde Magique et Emphyrio (réellement - Jack est droitier, et
il a écrit tous ses manuscrits au stylo avant qu’il ne devienne
aveugle). Puis je me suis tourné vers Norma : « J’espère que je
ne suis pas le premier fan de Jack Vance à vous remercier pour tout
ce que vous avez fait au fil des années, en tant que facilitatrice
et co-conspiratrice, tapant tous ces manuscrits et rendant possibles
des déplacements comme celui-ci.» Et Jack a approuvé, en disant
que personne n’avait conscience de la vraie dimension des contributions
de Norma à son œuvre.
Et ce fut le moment des adieux. Pendant les trois heures et demie
du retour à Indianapolis, je me suis rejoué mentalement toute cette
expérience. J’ai aussi pensé à toutes les questions que j’avais
oublié de poser. Ma foi, tant pis. Finuka m’a souri, le rituel n’a
pas été bâclé, j’ai rencontré Jack Vance. Ca m’est vraiment arrivé!
(Traduction de l’anglais par P. Dusoulier, avec
la précieuse collaboration de J. Garin.)
* Big One : C’est le nom (affectueux ?) que
donnent les Californiens au prochain tremblement de terre dévastateur,
qui devrait bien se produire un jour dans cette région très vulnérable,
et qui a des chances d’être vraiment « Big »… Pour en savoir plus,
explorez le web, ou simplement cette adresse : http://www.drgeorgepc.com/EarthquakesCalifornia.html (NDT)
*Schmeltzeur: personne qui tente de se faire
bien voir, ou de s’associer avec des personnes d’une classe supérieure
à la leur - in "La Mémoire Des Etoiles". (NDT)
* Bill Schulz : il est professeur de mathématiques
dans cette université. Il a l’honneur d’apparaître dans au moins
deux des romans de Jack : dans Bonne Vieille Terre, où l’on cite
les titres de trois ouvrages mathématiques rares de William Charles
Schulz, et dans Throy, où il a le titre d’Empereur… (NDT)
* Les mermelants sont des animaux intelligents
que Cugel rencontre dans "Cugel Saga" (NDWebmaster)
*Kaffeeklatsch : un américanisme d’origine
germanique (« Kaffee »= café… et « Klatsch »=bavardage, causette,
conversation), désignant un style de réunion et de discussion très
sympathique, autour d’une tasse de café… (NDT)
* Isle of Peril a été aussi publié sous le
titre Bird Isle. Take My Face a été également publié sous le titre
The Flesh Mask. Quant au troisième manuscrit dont parle Jack, je
me demande s’il n’avait pas en tête Strange People, Queer Notions
qui se passe à Positano, dont Jack parle plus loin… Ces trois romans
policiers sont disponibles dans l’édition VIE, réunis dans le Volume
10, déjà paru. (NDT)
* J’ai conservé dans le texte la phonétique
anglaise. Pour ceux qui ne connaissent vraiment que très peu l’anglais,
voici une phonétisation plus proche du français : Unspiek, Bodissey
: EUNE-spik, BAH-di-ssee Morreion : more-AILLE-eune Pao :
PEILLE-oh Tschai : comme le mot « chais », mais aussi acceptable
, tchaï (le mot russe pour « thé »…) Ridolph : RAILLE-dolf Cugel
: Kiou-gueule (ceci étant, Jack l’a prononcé devant moi comme étant
« Kou-gueule », comme le mot allemand « Kugel »… Je lui ai fait
répéter, il m’a confirmé. Comme quoi il a le droit de changer d’avis…
ou David Williams l’a entendu différemment ! Lurulu : LOU-rou-lou.
(NDT)
* JVMB : Jack Vance Message Board, un forum
de discussions remarquable etc., puisque j’en suis un des administrateurs…! Non,
sérieusement, j’invite les anglicistes à nous visiter et
à participer: http://pub1.ezboard.com/bjackvance (NDT)
Absolument incontournable donc indispensable... (NDW)
* chife : préparation peu ragoutante à l'odeur
infecte in "Cadwall : Station Araminta vol.1" (NDW)
* nuncupatory (qui a pour synoyme en anglais
"nuncupative"): traduit en français par « nuncupatif
», un mot qui n’existe pas en français, en fait.. Le mot anglais,
dans son usage moderne, est un terme légal qui signifie tout simplement
« oral, verbal, en présence de témoins ». Ainsi on parlera d’un
« nuncupatory will », un testament énoncé oralement en présence
de témoins. Jack a effectivement complètement détourné le mot de
son sens ! (NDT) "paroles nuncupatives - arguments nuncupatifs" chap XVIII -1
"La Mémoire des Etoiles" .Arlette Rosenblum, la traductrice,
dans une
note en fin du livre nous dit [Ce "nuncupatif" dans l'acceptation donnée au
terme - signifie ici "pures paroles en l'air". "Nuncupatif" est un terme
de droit romain équivalent à "oral"et s'appliquant à un testament oral fait
devant sept témoins (à l'origine) puis à la reconnaissance orale d'une
obligation par un débiteuret enfin en droit anglais : testament oral prononcé
in extremis. Sur le plan de la théologie, d'aprés le dictionnaire Quillet,
certains hérésiarques prétendaient que Jésus-Christ était un dieu nuncupatif
( dieu que de nom).] (NDW)
* Ce ketch sera baptisé "Hinano" par
Jack, célébre marque de biére tahitienne. (NDW)
* Dans le numéro de l'Eté 1945 de Thrilling Wonder Stories, parait le premier texte
publié de Vance "The World Thinker" ou "Le Penseur de mondes",
une note biographique
rédactionelle présente aux lecteurs ce nouvel auteur
prometteur. (NDWebmaster)
* Jack a utilisé le terme anglais « romance
», qui est ambigu en anglais, mais qui dans le contexte recouvre
les aspirations romanesques, l’aventure exaltante, etc. (NDT)
* Il s’agit des « kanji », bien sûr, le syllabaire
japonais est plus réduit (NDT)
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Bibliographie
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