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Interview
Arlette Rosenblum
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Arlette
Rosenblum a traduit de nombreux ouvrages de Jack Vance, notamment
Le Visage du Démon, Le Jardin de Suldrun, La Perle Verte et
le premier volume d'Araminta Station et les derniers parus chez Rivages SF.
Elle nous parle de son
métier de traductrice et de son approche de l'oeuvre de Vance. C'est une dame
absolument charmante qui n'a pas hésité à me téléphoner
pour répondre à ma lettre que je lui avais écrite
pour réactualiser le questionnaire de Graal, j'ai
ainsi appris beaucoup de choses sur le domaine de
l'édition et des traducteurs et bien sûr sur Vance
lui-même. Je la remercie de toutes ses attentions.
GRAAL
: Comment êtes-vous venue à la traduction Arlette Rosenblum
: Par hasard, un jeu du destin, un caprice des fileuses et tisseuses
de nos vies qui se sont amusées à tortiller le fil de la mienne
et à l'imbriquer dans l'édition comme modeste truchement su
lieu de l'illustrateur que je me proposais d'dire. L'une des
façons courtoises d'éconduire un dessinateur est de se montrer
au regret de ne pouvoir utiliser ses talents alors que des
piles de manuscrits languissent sous la poussière dans l'attente
d'un oeil capable de déchiffrer l'anglais. Et justement. je
pouvais.
G
: Avez-vous toujours traduit de la science-fiction . AR :
Non. En fait, j'ai commencé par un travail de "nègre"
- ghost comme disent si justement les anglais - pour un traducteur
célèbre, un travail que je n'aurais jamais osé entreprendre
de mon propre chef par modestie. Puis je me suis retrouvée chez
Opta où j'ai traduit du policier d'abord et, Alain Dorémieux
étant en quête de traducteurs sérieux pour la SF, de la science-fiction.
J'en si gardé un merveilleux souvenir : des nouvelles qui me
paraissaient souvent si difficiles. de l'équipe ensuite, Alain
Dorémieux et Michel Demuth et de ceux et celles qui les entouraient.
C'était vraiment une maison où je suis allée avec plaisir jusqu'à
sa débâcle, mais la collaboration avait bien duré vingt ans
je crois. J'avais traduit ailleurs aussi, bien sûr, mais pas
de la SF, et jamais dans une atmosphère aussi cordiale. J'ai
beaucoup traduit, des quantités de textes variés, car je traduisis
pour le groupe Opéra Mundi et les défuntes "Lectures pour tous"
: il fallait travailler vite et bien. C'est une bonne école.
G
: Existe-t-il une éthique de la traduction? AR : Il y a,
paraît-il, deux écoles de traducteurs. Le brodeur de fariboles
par ignorance, précipitation ou vanité de croire que ce qu'il
écrit plaira beaucoup plus su lecteur français que ce que l'auteur
anglais a imaginé - appelons-le le traducteur-adaptateur. Les
éditeurs aiment beaucoup ça. Un texte qui file, avec les clichés
et les mots à la mode, pour eux c'est épatant. Que l'original
y perde son rythme, son atmosphère, parfois sa matière même,
peu leur chaut. Ce n'est pas mon style. L'auteur m'offre
son oeuvre, je tâche à m'y couler, à m'oublier, à essayer de
transcrire dans ma langue ce que je sens qu'il veut dire dans
la sienne. Pour autant que c'est transmissible, évidemment.
Je ne plaque pas mon style sur le sien comme on le fait chez
Sélection du Reader's Digest (j'ai travaillé dix ans pour eux,
j'en parle en connaissance de cause).
G
: Dans quelles circonstances avez-vous découvert l'oeuvre de
Jark Vance ? AR : Par hasard. J'étais encore plus
ou moins free lance pour Hachette. On cherchait un traducteur
pour des nouvelles. Mon nom a été prononcé avec éloge quand
Jacques Goimard (directeur de la collection SF chez PP) l'a
cité. Et je suis allée un jour à Presses-Pocket demander une
traduction. Un Vance me fut donné : voilà.
G
: La traduction des testes de Vance pose-t-elle des problèmes
particuliers AR : Oui. C'est difficile, mais c'est un challenge
et j'aime bien son style. Prenons l'exemple des noms. Jack Vance
les a-t-il choisis par pur hasard - un son resté dans l'oreille
qui fait l'affaire - ou par association d'idées ? Ainsi dans
Space Opera, il y a un personnage peu sympathique qui au théâtre
serait ce qu'on appelle le traître : c'est Adolph Gondar le
sinistre, l'âme noire. L'âme noire ? Gondar est l'ancienne capitale
de l'Ethiopie, pays qui - pour mon imagination tout au moins
- évoque le noir (noir comme suie, noir comme un four, noir
comme un Ethiopien - sans la moindre idée de racisme, notez
bien, juste le noir). Alors y a-t-il une arrière-pensée dans
le choix de ce Gondar, à la manière de la comédie italienne
où les personnages typés ont des noms typiques ? De même
nombreux sont les mots écossais dans le vocabulaire vancien
et parfois étudier leur étymologie permet de mieux les transposer
en français. A propos de comédie italienne, le théâtre, la
musique, y sont souvent présents. Les oeuvres de Vance ont la
souplesse de l'articulation liche (on le lui a reproché) de
la comédia dell'arte. Souvent encore la conclusion est un point
d'orgue ou une plaisanterie. Rappelez-vous la fin du Visage
du Démon : le patricien qui ne voulait pas d'un voisin à cause
de sa mine, ce zélateur d'un apartheid fondé sur l'or verra
à tout jamais cette horrible face planer comme une lune au-dessus
de son palais. C'est comique. Un argument mince et un roman
qui file et rebondit en cascades. Tout compte chez Vance
et même parfois ce qui n'en a pas l'air. Et c'est pourquoi il
est difficile ou disons délicat à traduire.
"Jack aime beaucoup jouer sur les mots,
les noms à
la fois sur leur sonorité et leur sens dans la suite du récit.A chaque fois je dois me demander que privilégier dans la traduction
le sens exact ou le jeu de mot ."
Q:Est-ce que vous correspondez avec lui pour la traduction ? Sur quel
texte travaillez-vous ? AR:J'ai beaucoup correspondu avec Norma et je leur ai rendu visite chez eux
à Oakland ,Californie en 1991 ,je devais rester 8 jours et j'y suis resté
un mois et demi ! Sur "La Roue du temps" de Robert Jordan (ed.Rivages
SF) dont c'est le septiéme
volume et je suis terriblement en retard. (NdR. : Cher Doug, Laissez Arlette
nous rédiger ces merveilleuses notes explicatives
de bas de page.)
G
: Qu'elle est selon vous la particularité de Jack Vance ? AR
: Vance est avant tout un "teller of tales", un conteur
envoûtant comme l'ont été dans les marchés d'orient les conteurs
orientaux : c'est un styliste, un écrivain, et si vous ne respectez
pas son style, c'est fichu, l'histoire n'a pas plus l'air de
tenir debout, les paysages deviennent des stéréotypes. Il a
une prose rythmée, tantôt rapide, à courtes phrases, tantôt
d'une ampleur verbeuse satirique où perce l'ironie. J'avais
traduit il y a bien longtemps pour Opta La Planète Géante. Dans
des documents que Norma Vance a eu la grande gen tillesse de
m'envoyer, j'ai découvert avec horreur que j'avais traduit une
version caviardée et - en même temps -cela m'a confirmée dans
l'impression que j'avais eue en traduisant : qu'il y avait quelque
part un manque. J'avais donc bien senti ce qui était l'essence
même du style, de la pensée de Vance. J'ai appris aussi par
ma correspondance avec lui qu'il a vécu, su cours de différents
séjours, huit ou dix ans en Europe.
G:
Quels ouvrages de Vance préférez-vous ? AR : Je mettrai
en premier le Château d'If, C'est fort, admirablement charpenté,
plein de suspense et à mon avis un chef-d'oeuvre. Il y a The
Narrow Land, une superbe évocation d'un futur du passé, si j'ose
écrire, quelque chose comme la réémergence d'un préhominien
coelacanthien. Il y a l'ironique Masquerade on Dicantropus.
Il y a l'adorable et inédit Phantom Milkman*, une histoire de
fantôme avec l'humour et la justice immanente réunis dans une
brave nouvelle impeccable. En fait, j'ai lu Emphyrio en traduction,
je ne me rappelle pas avoir lu Les Mondes de Pao. Je parlerai
plutôt des livres que j'ai traduits parce que, finalement, j'aime
mieux les textes originaux. Mon préféré, c'est Le Jardin de
Suldrun parce que les êtres m'y ont paru de chair et de sang,
même quand c'étaient des ogres ou des magiciens et à cause de
cette atmosphère féerique et terre à terre à la fois. A cause
de ces paysages de montagnes, de landes, de torrents à truites.
A cause aussi de l'océan et des traversées en bateau. A cause
des petites gens qui y apparaissent.
G
: Vance n'aime pas parler de lui, mais en considérant son style
et les thèmes qu'il aborde. quelle idée pourrait-on se faire
du personnage ? AR : Vous connaissez la phrase fameuse tant
redite "Mme Bovary, c'est moi". Le héros de Vance,
c'est Gersen et Jubal Droad, Roger Wool et Dame Isabel. Une
personne dotée d'astuce et de sens pratique, d'humour et d'esprit
de ressource, fataliste et ayant le sens de ce qui est juste.
Dans les nouvelles, on découvre une sensibilité qui n'apparaît
pas aussi nettement dans les romans.
G
: Penses-vous que Jack Vance soit aussi connu qu'il le mériterait
? AR : Oui, je crois que Jack Vance, connu pour quelques
nouvelles comme La Grande Bamboche que j'ai mal comprise (pas
lu dans l'original) ou ses romans, mériterait de l'être plus
encore par tous ses contes inédits. Il est difficile 3 traduire,
parce qu'il ne se prend pas lui-même au sérieux (la scène des
automates joueurs d'échecs par exemple). Il a des défauts, des
scènes qu'il réutilise, des images qu'il reprend et répète,
c'est un peu sensible dans les romans, pas du tout dans
les nouvelles qui m'ont paru, tel Dust of Far Suns, d'une grande
force et d'une parfaite économie.
*
Certaines de ces nouvelles ont depuis été éditées par Presses-Pocket.

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