Questions pour Jack Vance  par Patrick Dusoulier
Patrick est "Principal Editor" dans le projet VIE, et un admirable DFV (Dévoué Fan Vancien) de longue date...Avec tous mes remerciements.

 

 


Patrick et Three-Legged Joe !!En Juillet 2003, sur une idée de Mike Berro, et grâce à la gentillesse de John Vance, le fils de Jack (et bien sûr, grâce à Jack lui-même !), j’ai organisé un forum de « Questions Pour Jack » sur le Jack Vance Message Board (JVMB), dont l’adresse est : http://pub1.ezboard.com/bjackvance

Le principe est simple : les membres du JVMB posent les questions qu’ils veulent. Régulièrement, je fais le point avec John Vance, pour faire le tri et « sélectionner » cinq de ces questions (la sélection repose sur des critères flous et subjectifs, bien sûr ! Par exemple,  l’intérêt le plus général pour les fans, mais aussi l’intérêt pour Jack… Il faut qu’il ait envie de répondre… Nous évitons aussi les questions trop banales ou trop connues, auxquelles Jack a déjà répondu dans moult interviews) Un petit scrutin se fait alors sur cette liste restreinte de questions, et John pose à Jack la question qui vient en tête, et si possible une ou deux autres, les suivantes… John m’envoie ensuite un petit rapport des notes qu’il a prises, et je poste les réponses sur notre site.
Notez bien que Jack ne répond pas forcément qu’à la question posée, qu’il peut ne pas répondre à toute la question, qu’il peut aussi répondre très brièvement, ou qu’il peut ne pas répondre du tout… En fait, il répond comme il veut, bien sûr, et pas nécessairement ce qu’on attendait de lui ! Et c’est très bien comme ça.

Je propose aux visiteurs du site de Jacques Garin de participer à ce système de questions. Pour ceux qui manient la langue anglaise avec suffisamment d’aisance, qu’ils posent leurs questions directement sur notre site JVMB. Pour ceux qui hésitent, je leur propose simplement de m’envoyer leurs questions en français (dussoulier.patrick@wanadoo.fr), je les traduirai. Une condition impérative : formulez vos questions comme si Jack était devant vous ! Je ne reformulerai pas les questions pour vous !

Pour vous mettre en appétit, voici une liste de questions, et les réponses de Jack. Je continuerai de fournir une traduction des futures questions/réponses, grâce à l’hospitalité de Jacques Garin, que je remercie…  

Jack méditant aux questions de ses fans

1/ QUESTION DE STYLE

Question posée par Matt Hughes :
Pourquoi ce style ? Vous avez abouti à votre style si particulier après plusieurs années où vous avez essayé différentes approches. Vous aviez certainement conscience que ce style, qui fait le délice des uns, était sûr de rebuter les autres… Ceci devait forcément vous amener à vendre moins de livres que des besogneux comme Heinlein ou Asimov. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire quand même ?

Réponse de Jack :
« A dire vrai, je me suis mis à écrire comme j’en avais envie… J’ai simplement décidé, allez, tant pis ! je vais écrire ce que j’ai envie d’écrire, et ne plus chercher à faire plaisir à John Campbell. J’en avais assez d’écrire des âneries commerciales, même si sur le moment je ne pensais pas vraiment comme ça. »
« J’en ai eu assez d’écrire des trucs scientifiques de pacotille. « Three-legged Joe » est un bon exemple : j’avais imaginé du mercure supraconducteur à très basse température, et Three-legged Joe était tué par la supraconductivité. Une très mauvaise histoire. Il y en avait une autre… bon, ça va comme ça, pas de détails, je les déteste toutes… Bien sûr, je les ai écrites, je les ai vendues, ça m’a rapporté quelques dollars. J’ai essayé de les écrire du mieux que je pouvais - il y en a quelques-unes que je trouve pas mal quand même : j’aime Les Faiseurs de Miracles, par exemple, et Papillon de Lune. Un Monde d’Azur, ça c’est une histoire gadget, je ne l’aime pas beaucoup : l’idée de fabriquer des armes avec du fer distillé à partir du sang humain… pas besoin de faire comme ça, le fer provient de ce que les gens mangent, et pour obtenir du fer, il suffit de l’extraire de leur nourriture ! »
« Je dirais que Un Monde d’Azur est ma dernière histoire gadget. Après ça, je me suis mis à m’intéresser davantage aux gens, comme Navarth, et le héros de Tschai, et… bon, je n’entrerai pas dans les détails… »

Commentaires de P. Dusoulier :

* La nouvelle « Three-legged Joe » n’a pas été traduite en Français. Jack ne se souvient plus très bien de son histoire, car en fait Three-legged Joe n’est pas tué, seulement sonné par une bonne décharge électrique… Sur le fond, toutefois, Jack a raison, le « gadget » scientifique de son histoire ne tient pas debout, pour des raisons pratiques que je laisse le soin de déterminer eux-mêmes aux futurs lecteurs de cette histoire (dans l’édition en anglais VIE, ou dans une traduction française, un de ces jours, peut-être ?).

* Pour « Un Monde d’Azur », Jack est injuste envers lui-même, et encore une fois il a un peu oublié son roman. Un des membres de notre Forum l’a fait remarquer, et ceci a été transmis à Jack : si, au début, le fer est obtenu à partir du sang humain, c’est parce que c’est la piste donnée dans les écrits anciens. Mais bientôt l’esprit scientifique s’instaure dans le petit groupe, et nous voyons au chapitre 16 Sklar Hast qui réfléchit :

« Mais quelle est donc l’origine du fer que nous trouvons dans notre propre sang ? On doit aussi le découvrir dans un de nos aliments. Si nous trouvions son origine, alors nous n’aurions plus à nous saigner à blanc pour obtenir tout juste de petites boules de métal » (traduction de Jacqueline Remillet, dans l’édition « Ailleurs et Demain » de Robert Laffont, mars 1970)

Ainsi, Jack avait bien réfléchi à son « truc scientifique» à l’époque!

Jack au banjo - automne 1997

2/ QUESTION DE JAZZ

Question posée par « Kilo Volt » :
Comme j’ai une passion démesurée et malsaine pour la musique, j’aimerais bien avoir quelques recommandations en ce qui concerne le jazz.
Quels sont vos trois (ou cinq…) albums de jazz préférés ? Une petite liste des chefs-d’œuvre absolus pour le néophyte, en quelque sorte… Dans le même esprit, est-ce que vous écrivez, ou avez écrit, en écoutant de la musique, et si oui, vous souvenez-vous d’albums ou de musiciens associés à certaines de vos œuvres ?

Réponse de Jack :
« Ca demande réflexion… Ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser, il y a tellement de belle musique… Mais je suggérerais le « Buck Creek Jazz Band », « Black Eagle Jazz Band », tout ce que vous pourrez trouver par Jack Teagarden, peut-être quelques morceaux du « New Orleans Rhythm Kings », dans leur deuxième période, avec Wingy Manone, Sidney Arodin, George Brunies… Ce sont des enregistrements parfaits. Et puis il y a les morceaux de piano de Jelly Roll Morton… Tout ça, c’est la base, pour démarrer, rien d’extravagant. »
« Mais les Black Eagles, et Buck Creek, sont probablement les meilleures orchestres de jazz qui aient jamais existé, même si ce sont des contemporains : ils sont meilleurs, à tous points de vue, que les orchestres que les pseudo critiques aiment citer, comme King Oliver… Bien sûr, c’est un grand orchestre, j’aime King Oliver, j’adore, je l’apprécie beaucoup, mais c’est un groupe qui n’a pas atteint une maîtrise technique totale, contrairement aux orchestres que j’ai mentionnés. »
« Je pense que Beiderbecke est le plus grand musicien de jazz de tous les temps, mais c’est difficile de le recommander aux néophytes, parce qu’on ne peut commencer à l’apprécier que quand on connaît un peu mieux le jazz. »
« Pour moi, le jazz n’est pas seulement Duke Ellington, Louis Armstrong, et Bessie Smith; ils sont socialement avancés, et politiquement corrects, mais il y a tellement d’autres musiques : je pourrais citer Benny Strickler, par exemple, qui est pratiquement inconnu de tout le monde, mais qui était un des vrais grands joueurs de trompette ; son jeu est tellement extraordinaire. Ce n’est pas de la musique tape-à-l’œil, pas tonitruante, pas m’as-tu-vu… C’est une musique simple, relax, formidablement relax, de la pure, pure, pure musique… Benny Strickler, personne ne le connaît… »

Commentaires de P. Dusoulier :

* Lorsqu’il était étudiant, Jack a écrit plusieurs articles de critique de jazz, dans le journal de son collège. Ils ont été retrouvés par un fan de Jack (Bruce Y.). Jack ne souhaite pas qu’ils soient publiés, c’est donc avec regret que nous ne pourrons pas les incorporer au Volume 44 de l’Edition Intégrale VIE.

* Un des membres du JVMB nous a communiqué ce lien, pour tous ceux qui aiment le « vieux » jazz ou qui veulent en apprendre davantage (ce sont des archives fabuleuses sur le jazz antérieur à 1930) : http://redhotjazz.com/ . Je vous assure, allez-y faire un tour, c’est incroyable !

* Jack porte Beiderbecke aux nues…et il va jusqu’à le mentionner dans certains de ses ouvrages ! Vous trouverez un « Beiderbecke Circus » dans le 2ème tome de la trilogie Cadwal, et dans le même roman un marchand essaie de vendre un buste de Leon Beiderbecke à Glawen Clattuc… Et bien sûr, vous avez tous en tête « La Grande Bamboche » (« Rumfuddle », en anglais…), quand Bob Robertson annonce une projection d’un concert donné par Leon Bismarck Beiderbecke au cours de l’été 1926, à la Grange Rouge. Beiderbecke y joue Sensation Rag avec sa légendaire formation, les Wolverines (page 79 dans le volume « Croisades », aux éditions Le Bélial).

* Jack a ajouté une invitation personnelle à notre ami Kilo Volt : « Dites à K.V., s’il a envie de venir à la maison, qu’il apporte quelques steaks, on les fera griller, là, dans le jardin, et je lui ferai écouter de la bonne musique… S’il veut venir avec sa femme, OK, on fera une fête, et on écoutera de la super musique. »

3/ QUESTION SUR JOE BAIN

Question posée par Steve Sherman :
Le synopsis du troisième roman avec Joe Bain (« The Genesee Slough Murders », qui sera publié dans le Volume 44 de l’Intégrale VIE) n’évoque que brièvement les meurtres effectifs, à tel point que j’ai dû le relire pour comprendre qui était tué, et pourquoi.
D’un autre côté, certaines des scènes secondaires sont traitées avec beaucoup de détails : les arbres sur le canal, les manifestations, le cambriolage avec le camion, le mystérieux correspondant téléphonique de Miranda, les luttes incessantes de Joe Bain avec Howard Griselda, etc. Mon impression est qu’une fois terminé, ce roman aurait été aussi bon que les deux précédents.
Et pourtant, il n’a pas été écrit. Quand j’étais à la Mugar Library (à Boston, une collection fantastique de manuscrits de Jack, de correspondances, et divers matériaux éditoriaux), j’ai lu les lettres de Robert Ockene, l’éditeur de chez Bobbs Merrill, qui était un vrai fan des Joe Bain. Dans une lettre, il dit qu’il attend impatiemment de pouvoir publier le troisième volume.
Alors, que s’est-il passé ? Pourquoi le roman « The Genesee Slough Murders » n’a-t-il jamais vu le jour ?

Réponse de Jack :
« Bob Ockene, l’éditeur des deux premiers volumes de Joe Bain, est mort de leucémie. Quand j’ai écrit le synopsis pour Genesee Slough, je ne l’ai pas vraiment développé autant que j’aurais voulu, je n’ai jamais réussi à en faire un scénario qui me satisfasse. En tout cas, pour une raison ou une autre, je ne sais pas sur quelle base, le nouvel éditeur de Bobbs Merrill l’a rejeté. Mais j’ai un peu renoncé à écrire ce genre d’histoire : ça ne nous rapportait pas vraiment d’argent… Bien sûr, rien ne nous rapportait vraiment beaucoup d’argent, à l’époque ! »
« Ce que je peux dire : j’aime vraiment beaucoup Joe Bain. J’aime la situation, l’endroit où ça se passe, qui est un peu un mélange du genre d’endroit où j’ai grandi, de l’autre côté des collines par rapport à la région de la Baie de San Francisco. L’endroit où ça se passe est une sorte de synthèse de plusieurs des comtés qu’on trouve là-bas. C’est très authentique, le genre de campagne qu’il y avait, à mon époque en tout cas. »

Question annexe, posée par Mike Transreal :
Et à part ce roman avec Joe Bain, quels sont les projets et séries que vous auriez aimé poursuivre, à condition d’avoir le soutien d’un Editeur ? Vous avez indiqué dans plusieurs interviews et articles, au fil du temps, que vous pourriez revenir à votre univers de Lyonesse, continuer L’Homme de la Zodiac, La Terre Etroite, peut-être Un Tour en Thaerie, et d’autres encore…

Réponse de Jack :
« Je n’en ai pas la moindre idée, pas même le plus petit commencement d’une… Je me considère comme étant en semi-retraite, même si j’ai en fait commencé à écrire une nouvelle histoire… »

Trullion et sa célébre "hussade"

4/ QUESTION SUR LES SPORTS D’EQUIPE

Question posée par Funambulist :
Je ne vous ai jamais entendu évoquer une affinité avec un sport d’équipe, et pourtant c’est un élément important dans plusieurs de vos œuvres. A votre avis, quelle est l’importance (s’il y en a une…) des sports, ou de la compétition athlétique, dans la société ?

Réponse de Jack :
« Je n’ai pas de réponse précise à apporter, je n’ai pas d’opinion sur le sujet. »
« Personnellement, j’aimais bien le football au collège, je m’y intéressais beaucoup. Dans les années 20 et 30, le football au collège comportait une bonne dose de romanesque, avec les manteaux en peau de raton laveur, les types avec des ukulélés, les flacons de whisky dans la poche revolver, vous voyez le genre de truc… et puis il y avait aussi les filles un peu délurées… »
« J’aime le base-ball, mais je n’aime pas le football ou le basket professionnel. En fait, je n’aime aucun sport professionnel quel qu’il soit. »

Question suivante de Funambulist, sur le même thème :
Pensez-vous que les sports en équipe soient une sorte d’exutoire ?

Réponse de Jack :
« Je pense que les sports d’équipe en amateur, et même ceux des professionnels, procurent un centre d’intérêt, un point de rassemblement, pour la région qu’ils représentent. Mais je n’ai aucune théorie vraiment originale sur ce sujet, tout le monde a probablement les mêmes idées… »
« J’ai inventé quelques jeux, pour m’amuser, la « hussade », en particulier. Un jour, on m’a dit qu’à l’Université de Washington, il y avait quelqu’un qui voulait organiser des matchs de hussade ! Mais il n’en rien sorti… J’ai souvent entendu des allusions à des velléités de lancer le jeu pour de bon, mais il ne s’est rien passé. »

Dernière question de Funambulist au sujet du sport :
Pensez-vous que les sports soient inévitables, en un certain sens, à cause de quelque chose de profond dans toute société ?

Réponse de Jack :
« Je n’ai vraiment aucune idée théorique sur ce sujet. Je n’ai aucune opinion particulière, ni dans un sens ni dans l’autre. »

Jack sur son houseboat, photographié par Frank Herbert (1962)

5/ QUESTION SUR « LES RACES SOUS-MARINES MALFAISANTES »

Question posée par Rob Friefeld :
Les merlings de Trullion, les morphotes de Koryphon : la notion cauchemardesque de races malveillantes qui vivent sous la surface de l’eau, prêtes à vous tirer et vous emporter dans les profondeurs : est-ce basé sur un mythe, ou sur une expérience personnelle ?

Réponse de Jack :
« Ni l’un ni l’autre ! Aucun morphote ne m’a jamais attrapé par la jambe, à ma connaissance… Je suis sûr que je m’en souviendrais ! »

Suite de la question de Rob :
Est-ce strictement une idée psychologique ? Je trouve que c’est un concept très fort, cette idée qu’il y a des choses dont les gens doivent s’accommoder, plutôt que d’essayer de résoudre le problème en balançant des explosifs et du poison.

Réponse de Jack :
« Non, ces races sont simplement des éléments de mes histoires, elles n’ont pas de sens particulier, pas de signification forte. Juste une partie de l’environnement d’une histoire en particulier. »

6/ PLASTICITE DE LA RACE HUMAINE

Question posée par Fironzelle:
On vous a vu utiliser avec efficacité des intelligences extraterrestres, en contraste avec l'humanité du futur : les Wannek*, Chasch, Pnume et Dirdir en particulier, qui modèlent leurs symbiotes humains sur Tschai. Les extraterrestres du Dernier Château, des Maîtres des Dragons et de Marune sont tous en train d'être remaniés à l'image de l'Homme, ou de remanier l'Homme selon leurs spécifications, ou de se tenir à l'écart de l'Homme autant que possible.
Les romans de la série des Princes Démons sont plus pauvres en interaction humain-extraterrestre (à l'exception importante du presque humain Prince des Etoiles, Malagate), mais présentent souvent des interactions entre des membres de l'espèce humaine qui sont incapables de compréhension mutuelle. Est-ce que le contexte scientifique dans lequel nous vivons, en évolution permanente,  nous forcera, nous et nos descendants, à abandonner toute rigidité sociale, et à adopter une grande flexibilité vis-à-vis de la morale et de la réflexion sociale ? Pensez-vous que l'apparente plasticité de nos comportements nous permettra de changer avec le progrès scientifique, ou même permettra aux valeurs de base de la civilisation Occidentale de survivre ?

* " Pour l'édition définitive VIE, les " Wankh " sont devenus les " Wannek ",  à la demande de Jack. Les anglicistes " grand-bretons " comprendront, le mot " Wankh " a une connotation phonétique qui avait échappé à Jack à l'époque... (NDT) "

Réponse de Jack:
Il est impossible de répondre intelligemment à cette question... En ce qui concerne l'avenir de la race humaine, il y a tellement de milliards de possibilités qu'il ne sert à rien d'avoir quelque théorie spécifique à cet égard. Toutes les idées qu'on pourrait avoir sont forcément fausses.
De notre point de vue contemporain, nous pouvons aussi bien nous contenter d'observer, avec intérêt bien sûr ; mais prédire quoique ce soit sérieusement est comme souffler de la fumée en l'air. Je n'ai aucune réflexion sérieuse sur les changements dans l'avenir. Les possibilités sont tellement effrayantes, ou pas effrayantes, mais tellement nombreuses que ça n'a aucun sens. Je n'ai aucune théorie sur le devenir de la race humaine - mais rien ne pourrait me surprendre.

[John Vance relance: Mais est-ce que nos comportements continueront d'être flexibles, de s'adapter aux conditions changeantes ?]

Jack:  Oui, bien sûr, ça va sans dire.

[John Vance : Est-ce que tu penses que les valeurs de base de la civilisation occidentale survivront ?]

Jack: ce n'est pas tant une question de survie, elles vont se modifier, aller dans plusieurs directions... Je ne sais même pas ce que sont ces " valeurs de base ", de toute façon, elles changent d'année en année.
Il y aura des changements, probablement très lents, peut-être tellement lents que personne ne s'en rendra compte. Par exemple, si nous étions transportés en arrière, à l'époque Victorienne, nous pourrions nous adapter très facilement à cette existence, sans avoir un sentiment de, comment dire, "dislocation". Il faudrait qu'on réfléchisse un peu, qu'on soulève notre chapeau un peu plus souvent... il faudrait simplement faire attention. De la même façon, si nous étions transportés dans une société un siècle dans le futur, nous ne verrions peut-être pas la différence ; il y aurait des lois contre les automobiles rapides, ou...
En ce qui concerne l'utilisation que je fais des extraterrestres, je m'en sers comme d'éléments du scénario. D'une façon générale, je n'aime pas me servir d'extraterrestres dans mes histoires, parce que... bon, je ne vais pas détailler les raisons, elles sont complexes. Mais je les utilise uniquement quand ils sont " nécessaires " ; la portée de mes œuvres, je crois, est dans la façon dont des sociétés humaines agissent et réagissent entre elles, avec des êtres humains ordinaires, insignifiants.

[John Vance : Est-ce que tu postulerais que dans l'avenir, et soumise à des environnements très variés, la société humaine autorisera une large plage de comportements ?]

Jack : non, je ne souscrirais pas à un tel postulat. C'est le genre de discours qui va bien à des jeunes gens très enthousiastes, avec des drôles de lunettes, qui vont dans des cafés branchés, et qui ont des discussions passionnées entre eux, des types très " avant garde "...  C'est juste une possibilité parmi des milliers, ça pourrait aussi aller dans l'autre sens : la société pourrait devenir plus stricte, ce n'est pas impossible, même si la tendance, d'après les cent ou deux cents dernières années, semble être que les gens sont un peu plus relax, plus indisciplinés, un peu plus libres et ouverts, ce qui est, pour moi, quelque chose de tout à fait bien - en général.

7/ POINT DE VUE

Question posée par Matt Hughes
"Matt Hughes est un écrivain canadien, et un ami... Il a écrit, entre autres, deux excellents romans un peu dans le style de Jack, mais sans être des plagiats. En fait, le style de Matt est un mélange de Vance, de Swift et de Voltaire, plein d'humour, d'ironie subtile, de dialogues savoureux, avec un vocabulaire étincelant. Malheureusement, il n'a pas encore été traduit en Français. Je vous recommande " Fools Errant " et " Fool Me Twice ", les aventures de Filidor Vesh. Vous trouverez une intéressante revue de ces deux livres à http://www.infinityplus.co.uk/nonfiction/hughesfools.htm. (NDT) "  

Pourquoi n'avez-vous jamais (ou presque jamais) écrit à la première personne ?*
Est-ce parce que ceci impose des limites lorsqu'on écrit une histoire ? Ou parce que vous préférez prendre un peu de distance par rapport à vos personnages ? Ou parce que ça ne vous tente pas ? Ou... ?

* Un des romans policiers de Jack, " Strange People, Queer Notion ", est écrit à la première personne.  (NDT)

Réponse de Jack :

Les trois !  
Je préfère infiniment me tenir à distance de ce qui se passe, ce qui me permet de rendre compte de la scène avec un peu plus de liberté, dans l'ensemble. Quand vous écrivez à la première personne, ça présente certains avantages, on peut évoquer des émotions avec beaucoup plus d'aisance, et d'impact, que quand on fait un exposé. Mais si on connaît son métier, on peut obtenir le même résultat en détaillant l'apparence et les sensations de quelqu'un.
En fait, je suis en train de lire un livre en ce moment, de P.D. James, une femme écrivain : elle fait un travail fantastique avec des exposés très " distants ", qui donnent une grande réalité aux sentiments, peines et joies de ses personnages... Elle est très très bonne, elle y met tout son travail et son talent.
Mais la réponse est la question est : je pense que se tenir à l'écart de l'action permet d'avoir une vision plus large.
J'aime me tenir en dehors de mes histoires, autant que possible, pour que personne ne puisse dire : " Aha ! Ce sacré Vance, c'est comme ça qu'il, c'est son...tiens, le revoilà, vous savez - il déteste les chiens - ... "

8/ ORIGINE DU NOM  "GLAWEN"

Question posée par Mije
Cher M. Jack Vance
Il y a à peu près 8 ans, nous avons décidé d'appeler notre premier enfant " Glawen ". A cette époque, mon mari et moi lisions les Chroniques de Cadwal. Nous trouvions que le personnage principal était un garçon tellement gentil, avec un nom tellement chouette... Glawen Clattuc. Notre fils aîné naquit le 22 février 1995, et nous l'avons appelé Glawen, ça lui va tellement bien. Mais il y a une chose que j'aimerais beaucoup savoir : c'est un nom très spécial, nous ne l'avons jamais entendu nulle part. Est-ce que vous l'avez inventé, c'est le fruit de votre imagination, ou est-ce qu'il existe vraiment ? Ce serait sympa de savoir s'il y a d'autres " Glawen ", ou si notre Glawen est le seul. J'espère que vous pourrez répondre à ma question.
Cordiales salutations, Marije Binsbergen - Pays-Bas

Réponse de Jack :
C'est un nom que j'ai inventé, donc votre " Glawen " est sans doute unique !
Je passe beaucoup de temps à concevoir des noms qui soient adaptés aux circonstances, et à la personnalité des gens qui sont impliqués. Glawen est un TRES BON nom. Je l'aime beaucoup aussi... un nom parfait pour la personne en question...

© P.Dusoulier - Septembre 2003
dussoulier.patrick@wanadoo.fr

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